Il y a cinq ans, presque jour pour jour, Maher Arar, citoyen canadien, était expulsé en Syrie par les Américains, détenu et torturé. Pendant l'année qu'a duré son calvaire, sa femme, Monia Mazigh, s'est battue pour le faire libérer. Dans un livre qui paraît aujourd'hui, elle raconte sa lutte. Et elle ne se gêne pas pour dire qu'elle est loin d'être terminée.

Certes, une commission d'enquête sur l'affaire Arar a été mise sur pied. Elle a produit un rapport qui contenait des recommandations dirigées vers le gouvernement, la Gendarmerie royale et les services secrets. Le premier ministre Stephen Harper a présenté ses excuses à la famille de Maher Arar. Une somme de 11,5 millions leur a été versée en guise de réparation. «Mais l'argent, ça ne règle pas tout», dit Monia Mazigh, rencontrée hier à Montréal.

 

Son mari, dit-elle, est toujours marqué au fer rouge. Incapable de trouver un emploi après tout le battage médiatique qui a entouré ses déboires, il est retourné aux études. Maher Arar figure toujours sur la liste noire des États-Unis et ne peut s'y rendre. «On ne se débarrasse pas facilement de l'étiquette terroriste, même quand elle est erronée. Beaucoup de gens préfèrent garder leurs distances», note Monia Mazigh.

Malgré les épreuves qu'elle a traversées et qu'elle raconte dans le menu détail dans un livre intitulé Les larmes emprisonnées, la femme de 38 ans ne lève jamais le ton quand elle parle des événements qui ont transformé sa vie et celle de sa famille, ou lorsqu'elle constate qu'une grande partie des recommandations de la commission d'enquête sur l'affaire Arar sont restées lettre morte.

«On n'a pas appris de nos erreurs. Le gouvernement canadien continue de vivre comme il le faisait avant la publication du rapport. C'est excessivement frustrant pour ceux qui suivent les questions de sécurité et de droits humains de près», explique Mme Mazigh.

La GRC et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont toujours peu de comptes à rendre à la population canadienne, selon elle. Le secret est la règle plutôt que l'exception. Elle donne en exemple l'enquête interne Iacobbuci dont les résultats sont attendus lundi prochain. Pour écrire son rapport sur le rôle qu'a joué le Canada dans la détention et la torture de trois citoyens canadiens en Syrie et en Égypte, l'ex-juge Frank Iacobbuci n'a pas interrogé les trois victimes. «Il s'est contenté de la version du gouvernement. Il n'y a aucune transparence», dénonce Mme Mazigh.

C'est pour continuer de défendre haut et fort la cause des droits humains dans l'ère du post-11 septembre que Monia Mazigh, détentrice d'un doctorat en finance, a décidé d'abandonner la carrière professorale. Elle a d'abord fait une incursion en politique fédérale, en se présentant comme candidate du Nouveau Parti démocratique, avant de décider de faire à nouveau cavalier seul. «J'ai un autre rôle à jouer. J'aime bien être une conscience.»

C'est avec cette idée en tête qu'elle s'est lancée il y a plus d'un an dans l'écriture de ses mémoires. Dans le livre publié aux éditions Boréal, l'immigrante d'origine tunisienne raconte comment, alors qu'elle avait deux jeunes enfants à élever, elle a entrepris une véritable croisade auprès des autorités canadiennes pour faire libérer son mari. Tout juste entourée de parents et d'amis de la famille au début, survivant de ses économies puis grâce à l'aide sociale, elle a réussi à rallier des militants des droits de la personne à sa cause et à alimenter les médias.

Après des nuits sans sommeil, des déceptions et de grands moments d'espoir, Monia Mazigh a réussi à rapatrier son mari. Dans les passages les plus touchants du livre, elle raconte les retrouvailles avec un homme transformé, brisé par les humiliations subies aux mains de ses geôliers dans son pays d'origine. «Aujourd'hui, tout ce qu'on veut, c'est de retrouver une vie normale. Mais ce n'est pas simple», convient-elle, avec à peine un petit trémolo dans la voix.