Le gouvernement Harper a nommé un ancien organisateur conservateur juge en chef adjoint à la Cour canadienne de l'impôt malgré son expérience très limitée en fiscalité.

Le juge Eugene Rossiter, ancien organisateur conservateur très connu à l'Île-du-Prince-Édouard, a obtenu cette nomination devant huit juges anglophones plus expérimentés. Il n'avait jamais pratiqué le droit fiscal avant sa nomination à la Cour par le gouvernement Harper, en novembre 2006. Son nouveau salaire annuel est de 254 600$.

Trois avocats fiscalistes que La Presse a consultés, qui ont requis l'anonymat, ont été tantôt étonnés, tantôt choqués par la nomination du juge Rossiter à titre de numéro 2 de la Cour canadienne de l'impôt, laquelle entend les litiges entre les contribuables et le fisc. C'est la première fois qu'un juge ayant aussi peu d'expérience en droit fiscal obtient une promotion comme juge en chef adjoint.

«C'était déjà surprenant qu'il soit nommé à la Cour sans expérience il y a deux ans, alors c'est très malheureux qu'on le nomme juge en chef adjoint, dit un fiscaliste québécois. Le juge en chef adjoint doit gérer la Cour, et la tradition veut qu'il remplace le juge en chef lorsqu'il prend sa retraite. Il y avait des juges de la Cour qui méritaient davantage cette promotion.»

«C'est une nomination inhabituelle, dit un autre fiscaliste, qui pratique au Québec. Normalement, on s'attend à ce que le juge fasse ses preuves (avant d'être nommé juge en chef adjoint). Il y a une certaine évolution dans la carrière des juges.»

Des jugements étonnants

Le troisième fiscaliste, qui a analysé les jugements d'Eugene Rossiter, n'a pas été impressionné par ses connaissances en droit fiscal. Depuis sa nomination en 2006, le juge Rossiter a rendu 22 de ses 28 décisions en faveur des contribuables. «Ça dépasse de beaucoup la moyenne des jugements de la Cour. Il rend des décisions qui ne suivent pas toujours le courant jurisprudentiel traditionnel.»

Autre détail qui chatouille la communauté fiscale: la nomination du juge Rossiter a eu lieu le 15 juillet dernier, en pleines vacances estivales. «Sa nomination est passée inaperçue, alors qu'elle n'aurait justement pas dû passer inaperçue», dit un fiscaliste.

La communauté fiscale canadienne n'est pas seule à s'interroger sur la promotion du juge Rossiter. «Il était l'organisateur conservateur le plus connu à l'Île-du-Prince-Édouard avant d'être nommé à la Cour. Avant de devenir juge, il n'avait pas d'expérience en fiscalité... sauf pour avoir rempli sa déclaration de revenus chaque année!» dit le député libéral Wayne Easter, qui tente d'obtenir un cinquième mandat consécutif dans Malpeque, l'une des quatre circonscriptions fédérales de l'Île-du-Prince-Édouard.

Même s'il ne pratiquait pas le droit fiscal, Eugene Rossiter était un avocat bien en vue à Charlottetown. Il se spécialisait en litige civil. Membre du barreau de l'Île-du-Prince-Édouard depuis 1978, il a été présenté comme organisateur conservateur dans le quotidien The Gardian de Charlottetown, la revue Maclean's ainsi qu'à CBC au fil des ans.

Comme le juge en chef Gerald Rip provient du Québec, le gouvernement Harper devait nommer un anglophone au poste de juge en chef adjoint de la Cour canadienne de l'impôt. Le gouvernement se défend d'avoir été influencé par le passé d'organisateur politique du juge Rossiter. «La nomination du juge Rossiter a suivi le processus normal», dit Jean-Luc Benoît, porte-parole du Parti conservateur du Canada.

Le Parti conservateur, qui n'a pas réussi à faire élire de député fédéral à l'Île-du-Prince-Édouard depuis 1984, n'a pas voulu préciser si le juge Rossiter avait déjà occupé une fonction officielle lors de l'une des campagnes électorales du parti avant sa nomination comme juge. Le président du Parti conservateur de l'Île-du-Prince-Édouard, Gardner MacNeil, a confirmé à La Presse qu'il n'avait vu Eugene Rossiter à aucune activité du parti depuis deux ans.

La Presse a tenté de joindre le juge Rossiter, mais un porte-parole de la Cour canadienne de l'impôt a indiqué qu'il n'était pas autorisé à répondre aux questions des médias. La Presse a été dirigée vers le ministère fédéral de la Justice, mais nos appels au bureau du ministre conservateur Rob Nicholson sont restés sans réponse.