Le spectre d'une crise économique et la hausse vertigineuse du prix de l'essence se répercutent jusque dans la rue. Plusieurs mendiants montréalais constatent une baisse significative de leurs recettes depuis quelques mois.

«Si la classe moyenne en arrache, on en subit les contrecoups, en bas», résume Dan, un jeune mendiant rencontré sur le trottoir près de l'intersection des rues Mont-Royal et Saint-André.

 

Son chien Roxie roupille à ses pieds.

Le temps est frisquet, mais ce n'est rien pour décourager ce marginal aux longs cheveux en broussaille, qui fait la manche depuis 10 ans.

Si la menace de crise économique demeure abstraite et même si Dan n'a pas de voiture, les effets d'une récession se matérialisent déjà dans les poches du jeune homme. «Ces temps-ci, si on fait 20$ par jour, on est chanceux! L'an passé, à pareille date, je pouvais me faire un bon 100$», calcule Dan. À ses côtés, sa copine, une jolie brune, fait le même constat.

À l'ombre du Sanctuaire Saint-Sacrement, un peu plus loin, Ginette Beaudoin souffle dans ses mains pour se réchauffer. «C'est certain que ça donne moins, surtout avec une menace de crise économique», ajoute cette dame au visage un peu fripé par 20 années de rue, qui estime gagner environ 20$ par jour.

Selon Élyse, installée sur le bitume un peu plus loin, les gens s'excusent de plus en plus d'avoir à se serrer la ceinture. «Ils me disent que les temps sont durs, qu'ils ont besoin de nourrir leur propre famille», souligne la jeune femme de 20 ans.

Quelques personnes interrogées disent faire autant d'argent que d'habitude, surtout grâce à la générosité de fidèles habitués. «Les temps sont peut-être plus durs pour les nouveaux. Moi, ça fait 12 ans que je suis dans la rue Saint-Denis, les gens me connaissent», explique Squeegee, la barbe et les cheveux hirsutes. Ce sans-abri de 33 ans dit avoir à peine à tendre la main pour obtenir de l'argent.

Récession ou non, les gens restent avant tout des humains, croit Squeeggee. «Les gens préfèrent de plus en plus donner de la nourriture, pour éviter que l'argent serve à d'autres choses», constate-t-il.

Rue Sainte-Catherine, Martin est adossé contre un immeuble, un verre de carton incliné vers les passants. À 18 ans, le visage poupin, il dit être dans la rue depuis sept ans, après avoir écumé les foyers d'accueil toute son enfance. «Je n'ai pas vu de changement ces derniers mois. J'ai assez d'argent pour vivre et nourrir mes deux chiens», explique-t-il.

Et les gens qui donnent aux mendiants, vont-ils être moins tentés de puiser dans leur poche si la situation économique empire? «Je pense que c'est avant tout une question de valeurs», dit Jacques Hébert, qui vient de donner quelques pièces à un jeune dans la rue Sainte-Catherine. «Je lui en donne parce qu'il m'a donné un conseil sur les chiens. En temps normal, j'achète le journal L'Itinéraire, mais je ne donne pas aux jeunes qui utilisent cet argent pour la dope.»

L'Itinéraire et Moisson Montréal

Certains camelots du journal L'Itinéraire observent aussi une baisse de leurs ventes. «Depuis quelques mois, on voit des différences notables et plusieurs camelots font le même constat. Les clients nous parlent du prix de l'essence», explique Jean-Marc Boiteau, camelot et journaliste du mensuel, vendu 2$ dans la rue. «On sent l'appauvrissement de la classe moyenne, qui compose la majorité de notre clientèle», ajoute-t-il.

Des impressions contredites par le directeur général du journal L'Itinéraire. Serge Lareault assure que les ventes augmentent au lieu de diminuer, sauf dans certains quartiers moins nantis. «Avec un climat d'incertitude économique, les gens sont même portés à donner plus généreusement et à se pencher davantage sur le sort des pauvres», nuance M. Lareault.

Du côté de la banque alimentaire Moisson Montréal, qui distribue des denrées à 207 organismes d'aide montréalais, les symptômes d'une période de vaches maigres sont bien palpables.

Moisson Montréal vient tout juste de recevoir son rapport des derniers mois, dans lequel 91 organismes ont été échantillonnés. Le tiers a rapporté une augmentation des demandes pour avoir de la nourriture.