La Ville de Montréal refuse de dévoiler le nombre de billets distribués gratuitement lors du Grand Prix de Formule E, malgré une demande d'accès à l'information de La Presse.

Au lendemain de la première édition, les organisateurs s'étaient félicités d'avoir attiré 45 000 spectateurs lors des deux journées de course, les 29 et 30 juillet. Les responsables avaient toutefois catégoriquement refusé de dévoiler quelle proportion des participants avait payé son entrée.

Devant ce refus, La Presse a formulé à la Ville de Montréal une demande en vertu de la Loi sur l'accès à l'information afin de connaître le nombre de billets distribués gratuitement. Le quotidien réclamait aussi une copie de toute lettre ou de tout courriel du maire Denis Coderre au sujet de l'événement. « L'accès aux documents demandés vous est refusé », a toutefois répondu le greffier de la métropole, Marc Lebel, responsable de l'accès aux documents.

Danielle Pilette, professeure à l'UQAM et spécialiste en gestion municipale, estime que l'information demandée est pourtant d'intérêt public. 

« C'est d'intérêt public de savoir combien de billets ont été donnés, parce que ça joue sur la rentabilité de l'événement et l'obligation de la Ville de couvrir les déficits. »

En plus des 27 millions investis dans la course, la métropole a en effet accordé une marge de crédit de 10 millions à Montréal c'est électrique, l'organisme sans but lucratif mis en place pour organiser l'événement de Formule E dans la métropole.

Article «imprécis et arbitraire»

Pour justifier son refus, la Ville de Montréal invoque l'article 34 de la Loi sur l'accès à l'information. Celui-ci prévoit qu'« un document du cabinet ou du bureau d'un membre d'un organisme municipal » n'est pas accessible « à moins que le membre ne le juge opportun ».

L'article invoqué par Montréal pour refuser de rendre public le nombre de billets donnés durant le Grand Prix de Formule E se trouve actuellement au coeur de la réforme de la Loi sur l'accès à l'information. Dans un rapport de septembre 2016, la Commission d'accès à l'information avait recommandé de le revoir en raison de sa portée « imprécise et arbitraire ». L'organisation soulignait que la libération des documents était ainsi laissée à la « totale discrétion d'une personne autre que le responsable de l'accès aux documents ».

Cet article devrait être restreint pour s'appliquer uniquement si on démontre que le fait de libérer un document risque de causer un préjudice, a plaidé en commission parlementaire Mathieu Santerre, associé chez Orange bleue affaires publiques, entreprise qui aide fréquemment des organismes à faire des demandes d'accès. « C'est censé être une loi d'accès à l'information, mais les exceptions sont tellement nombreuses que chaque fois qu'on fait une demande, on prend des paris pour deviner en vertu de quoi on va se faire refuser les documents. »

Invité à commenter la situation, le cabinet du maire Denis Coderre maintient qu'il revient à Evenko, entreprise embauchée pour gérer la billetterie, de dévoiler ces informations. « Comme mentionné à maintes reprises, c'est au promoteur Evenko de répondre à ces questions », a indiqué Marc-André Gosselin, porte-parole du maire. Quant aux billets offerts par la Ville de Montréal elle-même, Marc-André Gosselin précise que le service du protocole a envoyé « quelques invitations protocolaires à des dignitaires comme cela se fait habituellement ».

«Opération de camouflage»

Les justifications de Montréal pour refuser de dévoiler le nombre de billets gratuits ne convainquent pas l'opposition à l'hôtel de ville. « Le maire pourrait décider de rendre publiques ces informations, mais clairement, il ne veut pas en parler, il ne veut pas que ça se sache », dénonce la chef de l'opposition, Valérie Plante. Elle se dit d'autant plus renversée par ce refus que les élus montréalais sont tenus de dévoiler chaque année les billets de faveur reçus pour participer à des événements.

« C'est une opération de camouflage [cover up], réagit quant à lui Marvin Rotrand, chef de Coalition Montréal. Ça rend le tout plus suspect encore. Ça me laisse penser que l'événement a été un fiasco plus important encore que ce qu'on en pense. » 

« Que l'on soit d'accord ou non avec le fait que la Ville finance un événement comme la Formule E, je pense que tout le monde s'entend pour dire qu'il faut de la transparence. »

Le cabinet du maire s'en défend, assurant que tout a été fait dans les règles. « La Ville de Montréal a été transparente sur l'ensemble du dossier : tous les contrats ont été adopté publiquement et l'ensemble des informations ont été transmises », soutient Marc-André Gosselin.

Au-delà du nombre de billets donnés, Marvin Rotrand aimerait d'ailleurs savoir si les organisateurs ont puisé dans la marge de crédit de 10 millions consentie par la Ville. Mais devant les refus répétés de l'administration, c'est seulement au printemps prochain que l'information sera rendue publique. En vertu de son entente avec la Ville, Montréal c'est électrique doit transmettre ses états financiers en début d'année prochaine. « Mais le 1er mars 2018, c'est après le 5 novembre 2017 [date de la prochaine élection municipale]. Je pense que les Montréalais sont en droit de savoir si la Ville a bien géré l'événement », dit le chef de Coalition Montréal.

Rappelons que Montréal s'est engagé à présenter le Grand Prix de Formule E pour trois ans, soit jusqu'en 2019, avec possibilité de prolonger pour trois années supplémentaires.

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse