La commissaire à l'éthique du gouvernement fédéral n'enquêtera pas sur le chèque de 25 000 $ encaissé par Denis Coderre en 2012 parce que celui-ci ne siège plus à Ottawa depuis quatre ans. Reconnaissant avoir commis une erreur en omettant de déclarer ce don, le maire de Montréal croit que ces révélations sont une tentative de déstabilisation. Mais l'opposition à l'hôtel de ville estime que sa réaction soulève de réelles questions sur son sens éthique.

UN OUBLI, UNE ERREUR, SELON CODERRE

À la suite de révélations du Journal de Montréal, Denis Coderre a reconnu lundi avoir encaissé un chèque de 25 000 $ de l'homme d'affaires Jean Rizzuto pour l'aider à payer des honoraires juridiques. Les deux hommes avaient d'abord nié au quotidien montréalais l'existence de ce chèque, mais ont finalement reconnu avoir effectué cette transaction qui a suscité l'intérêt de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le maire reconnaît maintenant qu'il a commis une erreur en ne déclarant pas ce don à l'époque où il était député fédéral de Bourassa. « C'est sûr que ça frappe l'imaginaire. Peut-être que j'aurais dû le déclarer, je ne vois pas d'autre problème », a réagi Denis Coderre.

DES RÈGLES QUI NE S'APPLIQUENT PLUS

Même s'il était tenu en 2012 de déclarer ce don de plus de 200 $, Denis Coderre ne fera pas l'objet d'une enquête de la commissaire fédérale aux conflits d'intérêts et à l'éthique, Mary Dawson. La raison est fort simple : les règles fédérales en matière d'éthique cessent de s'appliquer à un député 12 mois après qu'il a quitté ses fonctions. « Le commissaire garde les documents relatifs à un député pendant les 12 mois suivant la cessation de ses fonctions parlementaires. Ces documents sont ensuite détruits. [...] M. Coderre n'est plus député [depuis juin 2013] et n'est donc plus assujetti au Code des députés. La commissaire Dawson n'a pas compétence pour entamer une enquête portant sur un ancien député », a indiqué Jocelyne Brisebois, porte-parole de la commissaire. Une telle entorse aurait pu lui valoir une pénalité pouvant aller jusqu'à 500 $.

DE L'AIDE POUR UN AMI MAL PRIS, DIT JEAN RIZZUTO

L'homme d'affaires Jean Rizzuto confirme avoir aidé son vieil ami : « Il y avait un millionnaire du hockey d'un côté, et Denis Coderre de l'autre. [...] Quand un ami est mal pris, ça me fait plaisir de l'aider. » M. Rizzuto réitère qu'il n'attendait rien en retour. D'ailleurs, il dit avoir pris ses distances de Montréal depuis que M. Coderre en est le maire. Ainsi, il n'est plus administrateur de Métrocom, qui a un contrat de gestion des espaces commerciaux dans le métro de Montréal. Et il est faux de prétendre que Métrocom est associée au projet immobilier du métro Frontenac, ajoute-t-il.

TENTATIVE DE DÉSTABILISATION ?

Au-delà de la controverse, Denis Coderre se questionne sur la source de ces révélations, y voyant une tentative pour faire dérailler ses efforts pour enrayer la collusion à Montréal, a-t-il évoqué. « Peut-être des gens voient qu'on fait tellement du bon travail qu'ils ont intérêt à nous déstabiliser », a-t-il déploré. En entrevue lundi matin avec l'animateur Paul Arcand, au 98,5FM, le maire a trouvé « troublant » que des journalistes aient eu vent de ce chèque. « Comment ça qu'ils ont ça entre les mains ? » Selon lui, le dossier aurait dû rester privé. « C'est quelqu'un qui paie des frais d'avocats, pas quelqu'un qui bénéficie d'un contrat. C'est quelqu'un qui fait un chèque, c'est d'intérêt privé. »

L'ORIGINE : L'AFFAIRE DOAN

Cette controverse découle de la saga judiciaire qui avait opposé Denis Coderre au joueur de hockey Shane Doan. Lors d'une partie en 2005, ce dernier aurait contesté le travail de quatre arbitres francophones en utilisant les mots « fucking frogs ». Alors député fédéral, Denis Coderre avait remis en question la place du hockeyeur au sein de l'équipe canadienne lors des JO de 2006. Les deux s'étaient poursuivis en diffamation, et une entente à l'amiable était intervenue en 2010. S'il n'avait pas encore payé l'ensemble de la note de ses avocats en 2012, c'est en raison du « montant appréciable » que cela représentait, a précisé Denis Coderre. Son avocat dans ce dossier, Me Éric Simard, a été choisi en 2015 par la Ville de Montréal pour la représenter au sein de l'Administration portuaire de Montréal pour un mandat de trois ans.

L'OPPOSITION DEMANDE DES COMPTES

Ces explications de Denis Coderre n'ont pas convaincu l'opposition à l'hôtel de ville. « Quand Denis Coderre a mené campagne en disant qu'il allait nettoyer la Ville, je pense qu'il doit faire un examen de conscience, a martelé la chef de Projet Montréal, Valérie Plante. C'est troublant de l'entendre minimiser l'affaire, trouver toutes sortes d'excuses pour se dédouaner. » La chef de l'opposition s'indigne d'apprendre que le maire a d'abord nié l'existence de ce chèque, pour ensuite la reconnaître, attribuant son erreur à ses troubles de santé. « À ce que je sache, la perte de mémoire n'est pas un symptôme de la prostatite », a-t-elle dit.

CODERRE A PRIS SES DISTANCES DE RIZZUTO

Six mois après que M. Rizzuto lui eut signé ce chèque de 25 000 $, Denis Coderre avait publiquement pris ses distances de lui. Le 25 octobre 2012, un article de La Presse a rappelé que l'homme d'affaires a été l'un des principaux organisateurs de M. Coderre, mais que son nom a été évoqué à la commission Charbonneau, parce qu'il est l'oncle du témoin-vedette Lino Zambito. Ce matin-là, M. Coderre avait affirmé sur son compte Twitter que M. Rizzuto n'était « pas un de [ses] organisateurs ».

DES CONTRIBUTIONS POLITIQUES GÉNÉREUSES

Bien que Jean Rizzuto n'ait jamais contribué à la caisse électorale de Denis Coderre, plusieurs membres de sa famille y ont versé des milliers de dollars au fil des années. Entre 2004 et 2011, la nièce de l'homme d'affaires, Mélina Rizzuto, a versé à elle seule plus de 6500 $ à l'Association libérale de Bourassa, la circonscription que M. Coderre a représentée pendant 16 ans à la Chambre des communes. Mme Rizzuto est l'une des administratrices de la société Placements Rizzuto, une entreprise qui possède des intérêts importants à Laval. Un autre administrateur de cette société, Alfonso Rizzuto, a versé plus de 3300 $ à la caisse de M. Coderre entre 2004 et 2011. Tous ces dons étaient parfaitement légaux.

DÉCLARATION OBLIGATOIRE À OTTAWA ET À QUÉBEC 

Comme député, Denis Coderre aurait dû tout au moins déclarer publiquement avoir reçu 25 000 $ de l'homme d'affaires, observe Me Louis Sormany, le mandarin qui avait été la cheville ouvrière pour la loi créant le poste de Commissaire à l'éthique à l'Assemblée nationale. « On ne parle pas de cadeau, mais d'avantage, recevoir 25 000 $ c'est un avantage quand même », dit-il. À Québec comme à Ottawa, le don aurait été permis, mais cela prend une déclaration qui mentionne la nature de l'avantage, dès qu'il dépasse 200 $. Il faut s'interroger si cela contrevient à la loi électorale, s'il sert à financer une campagne électorale. On peut aussi s'interroger sous l'angle du lobbyisme. « La déclaration n'a pas été faite, techniquement il a commis une faute. Cela ne remettait pas en cause son poste de député, mais c'est quand même un gros montant, 25 000 $ », d'observer Me Sormany.

- Avec la collaboration de Kathleen Lévesque, Martin Croteau et Denis Lessard, La Presse