L'arrondissement du Plateau Mont-Royal a engagé des détectives privés pour s'infiltrer incognito et débusquer des personnes qui transforment illégalement leurs appartements en hébergement commercial touristique grâce au site Airbnb.

La tactique est détaillée dans une demande d'injonction déposée il y a quelques jours à la Cour supérieure par les services juridiques de la Ville de Montréal. La requête demande à un juge d'ordonner à un locataire de cesser de sous-louer commercialement à des visiteurs deux appartements dans les rues de Lanaudière et Garnier.

La pratique n'a cessé de prendre de l'ampleur au cours des dernières années grâce aux sites internet qui mettent en contact des voyageurs de passage en quête d'hébergement à bas prix et des gens qui sont prêts à les accueillir dans leur logement.

En février dernier, les élus du Plateau avaient adopté une résolution autorisant les avocats de la Ville à prendre des mesures judiciaires pour combattre les hébergements non autorisés, en réaction aux plaintes de voisins qui se disaient importunés par l'incivilité, le bruit ou le «va-et-vient constant» dans leur immeuble.

En théorie, les résidences de tourisme sont autorisées dans cet arrondissement uniquement dans les secteurs à forte densité, comme le boulevard Saint-Laurent ou la rue Saint-Denis, mais dans les faits, la règle est constamment bafouée. Hier, le site Airbnb proposait plus de 300 chambres ou logements à louer sur le Plateau Mont-Royal pour le week-end prochain.

Fardeau de preuve

L'automne dernier, en réponse à des citoyens excédés, le maire Luc Ferrandez avait expliqué qu'il était très difficile de combattre ce phénomène en raison du fardeau de preuve à accumuler pour constater une infraction: le simple fait de remarquer une annonce ne suffit pas, les autorités doivent prouver qu'il y a occupation à court terme de façon commerciale par des visiteurs. «On aurait besoin d'une armée d'inspecteurs, ce serait impossible», avait-il déclaré.

Or, il semble que peu après cette déclaration, l'arrondissement s'est finalement tourné vers la firme de détectives privés Quali-T. Le site web de cette entreprise précise qu'elle recrute ses enquêteurs et gardes du corps chez les policiers récemment retraités de la Sûreté du Québec, de la Gendarmerie royale du Canada et de plusieurs corps de police municipaux.

Dans le cas du citoyen qui propose sur Airbnb les logements des rues de Lanaudière et Garnier, deux agents ont tenté de recueillir la preuve d'une infraction en se faisant passer pour des clients.

Le premier a échoué parce qu'il avait fait la réservation sous un nom d'emprunt et n'a pu prendre possession des clés de l'endroit.

Le deuxième a réussi. Il a enregistré clandestinement sa conversation avec la personne qui lui a donné les instructions pour récupérer la clé, puis est demeuré dans l'appartement du 3 au 5 juin, avant de remettre son rapport aux autorités municipales.

Certification nécessaire

La demande d'injonction précise que l'exploitation d'une résidence de tourisme à cet endroit contrevient non seulement au règlement d'urbanisme, mais aussi au règlement sur le certificat d'occupation, qui exige un certificat pour tout usage commercial d'un bâtiment.

«Il est dans l'intérêt public que la Cour émette l'ordonnance recherchée par la Ville afin d'assurer le respect de la réglementation de l'arrondissement.» Pour le moment, aucune date n'a été fixée pour l'audition de cette demande.

Il a été impossible hier de savoir si la technique a été utilisée pour piéger d'autres utilisateurs d'Airbnb. Puisque des procédures judiciaires sont en cours, le parti Projet Montréal a préféré ne pas commenter le dossier. Le coût de l'embauche des enquêteurs privés n'est pas précisé dans la requête de la Ville.

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COMMENT FONCTIONNE LA LOI? 

• Une attestation de la Corporation de l'industrie touristique du Québec (CITQ) est nécessaire pour offrir un logement en location de courte durée sur une «base régulière». Pour louer son appartement trois semaines pendant les vacances, pas besoin d'attestation.

• Avant de délivrer une attestation, la CITQ demande l'accord de la municipalité ou de l'arrondissement, qui peut s'y opposer notamment en raison des règles d'urbanisme. La Ville peut aussi donner son accord, mais changer le statut d'un immeuble de «résidentiel» à «commercial», ce qui peut hausser l'impôt foncier.

• Tourisme Québec peut imposer des amendes allant de 2500 $ à 25 000 $ aux contrevenants, mais comme la loi vient d'entrer en vigueur le 15 avril, l'organisme a commencé par des avis de sensibilisation.