L'Unité permanente anticorruption (UPAC) a recueilli plusieurs témoignages incriminants sur la connaissance que Gérald Tremblay aurait eue de la collecte de fonds illégaux pour se maintenir au pouvoir, allant jusqu'à donner lui-même des directives.

C'est ce qui ressort d'une déclaration sous serment qu'un enquêteur de l'UPAC avait préparée l'année dernière afin d'obtenir un mandat de perquisition pour fouiller la résidence de Gérald Tremblay, le 29 juillet 2015. De grands pans de ce document judiciaire ont déjà été rendus publics depuis un an. Jeudi, un tribunal a autorisé la publication d'autres passages.

Vingt-trois autres déclarations sous serment au soutien de demandes de perquisition (chez Tony Accurso, les firmes Dessau, Groupe SM, BPR, au cabinet d'avocats Dunton Rainville et chez Paolo Catania, par exemple) ont connu le même sort, ce qui permet de connaître certains détails sur des dossiers litigieux qui ont provoqué une certaine tourmente sur la scène montréalaise depuis 2007.

Ainsi, pour sauver le championnat de natation FINA, en pleine année électorale de 2005, l'ancien maire Gérald Tremblay aurait demandé au directeur général de la Ville, Robert Abdallah, de solliciter le soutien financier de l'entrepreneur Tony Accurso, qui brassait des affaires avec Montréal. M. Abdallah a déclaré à la police avoir refusé de le faire ; c'est l'argentier d'Union Montréal, Bernard Trépanier, qui s'en serait chargé. Son témoignage est consigné dans l'un des documents judiciaires.

M. Abdallah est un ami de M. Accurso ainsi que de l'ancien président du comité exécutif de la Ville, Frank Zampino. Ce dernier est soupçonné par l'UPAC d'avoir dirigé un système collusionnaire permettant le trucage d'offres et le financement politique sous forme d'une quote-part correspondant à 3 % de la valeur des contrats obtenus.

Les allégations de M. Abdallah et sa crédibilité n'ont pas été mises à l'épreuve en cour, tout comme tous les témoignages recueillis par l'UPAC pour l'enquête Fronde. Cette enquête s'intéresse au financement occulte d'Union Montréal par des entreprises, au trucage du contrat des compteurs d'eau, au système de collusion sous la coordination de Frank Zampino et de l'argentier du parti, Bernard Trépanier, ainsi qu'au financement douteux du championnat de natation FINA en 2005. La nature d'un cinquième volet de l'enquête demeure toutefois caviardée.

Le chapitre sur le financement du parti Union Montréal permet de comprendre que les enquêteurs croient que Gérald Tremblay était bien au fait des manoeuvres financières autour de lui. 

Ainsi, en préparation de son arrivée sur la scène municipale en 2001, M. Tremblay aurait prévenu le collecteur de fonds et responsable du développement des affaires chez la firme de génie Roche, Gilles Cloutier, que son bras droit, le futur président du comité exécutif Frank Zampino, l'appellerait pour conclure une entente. Par la suite, Roche aurait versé 100 000 $ à Union Montréal par tranches de 25 000 $. Cinq autres contributeurs auraient également donné 100 000 $ chacun au nouveau parti politique.

Une fois élu maire, Gérald Tremblay participait à des déjeuners-causeries qui servaient à « partager des informations sur les projets et les contrats à venir à la Ville de Montréal, avec comme opportunité pour les entrepreneurs d'entrer en contact, dans un deuxième temps, avec les décideurs de la Ville pour manifester leur intention d'avoir accès à des contrats », peut-on lire dans le document qui relate le témoignage de l'ancien directeur administratif d'Union Montréal, Louis Lewis.

Parmi les documents saisis à la résidence de M. Tremblay, à Outremont, l'UPAC indique qu'il y a cinq relevés bancaires de M. Tremblay « comportant des transactions de 35 000 $ ou plus ».

COMPTEURS D'EAU

Dans le dossier des compteurs d'eau, dont les révélations remontent à 2007, le nom de Gérald Tremblay est rarement mentionné, contrairement à celui de Frank Zampino. Tous les témoins rencontrés par la police ont soutenu que le contrat, le plus important jamais attribué par la Ville de Montréal, avait été truqué.

« Nous avions des rencontres tous ensemble [les concurrents]. Ils savaient tous que les contrats (ICI, PI et MNU) étaient arrangés », relate la vice-présidente de la firme de génie Tecsult, Chantal Morasse. Son collègue Pierre Asselin explique que les soumissions de complaisance pour laisser la voie libre à une firme concurrente étaient chose courante.

Les contrats qui ont mené aux scandales du Faubourg Contrecoeur et des compteurs d'eau auraient été partagés derrière des portes closes entre les entrepreneurs controversés Paolo Catania et Tony Accurso. C'est du moins ce qu'a affirmé à la police l'homme d'affaires Elio Pagliarulo, un ancien ami de M. Catania.

Selon M. Pagliarulo, Paolo Catania lui a dit avoir discuté avec Tony Accurso, après quoi « une décision a alors été prise à l'effet que Catania et Dessau auraient Faubourg Contrecoeur, tandis qu'Antonio Accurso et encore une fois Dessau auraient le contrat des compteurs d'eau ».

SYSTÈME COLLUSIONNAIRE 

C'est à cette époque que se serait mis en place un système collusionnaire, selon ce que rapporte l'UPAC. Une des illustrations de cette situation concerne les documents retrouvés à Union Montréal lors d'une perquisition. Des documents ont été transmis par télécopieur, en 2004 et 2005, à Frank Zampino. Cela concernait des appels d'offres lancés par Montréal. Bernard Trépanier y indiquait « qui aurait le contrat, à combien étaient évalués les travaux, l'implication en pourcentage de chacune des compagnies formant les consortiums et qui seraient les autres soumissionnaires complaisants », le tout envoyé quelques jours seulement après que les appels d'offres étaient rendus publics.

Les liens étroits entre MM. Zampino et Trépanier tendent à se confirmer grâce à l'agenda de M. Zampino. On y retrouve 49 inscriptions pour des rencontres avec les membres de son équipe, à l'hôtel de ville. À 13 reprises, Bernard Trépanier est inscrit à ces rencontres alors qu'il n'est pas un employé municipal mais le responsable du financement d'Union Montréal.