La fondatrice du Centre canadien d'architecture (CCA) est sidérée de constater que l'on puisse attribuer à la tour de Radio-Canada une valeur patrimoniale dans le débat entourant sa mise en vente.

« Je suis époustouflée que les gens essaient de protéger ça [la tour], de dire qu'il y a une valeur [patrimoniale]. Au contraire, il n'y a aucune valeur », tranche Phyllis Lambert en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne, lundi.

Elle ne voit « aucunement » comment le bâtiment au coeur d'un « projet raté dès le commencement » pourrait se mériter ce qualificatif, puisqu'il a un effet « dévastateur » en matière d'urbanisme dans son quartier et qu'il « ne se distingue pas » sur le plan architectural.

« Tout autour, il n'y a rien. Il n'y a que des parkings. Et à l'intérieur, c'est un énorme espace qui n'est pas bien aménagé. C'est kafkaïen! On doit toujours être accompagné parce qu'on ne sait jamais où aller même si on est allé plusieurs fois », s'exclame Mme Lambert.

L'architecte âgée de 89 ans, qui a cédé en 2013 sa place de présidente du conseil du CCA, dit qu'elle n'aurait ainsi « pas du tout de peine » de voir disparaître une bâtisse qui « vaut tous les citrons du monde ».

Et ce n'est pas parce qu'il a fallu raser un quartier entier (le « Faubourg à m'lasse ») dans les années 60 pour faire place à la grande tour brune que celle-ci doit pour autant demeurer debout, argue Phyllis Lambert.

Elle se désole ainsi de l'immobilisme de ceux qui plaident en faveur du maintien de cette tour « quelconque » par principe, rappelant pour illustrer son propos une citation qu'elle attribue à l'architecte et urbaniste franco-suisse Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier.

« Vous savez, Le Corbusier a qualifié le Canada comme le pays des peureux. Je crois que les gens ont peur. Ils ont détesté ça quand ça a été fait, et maintenant que la tour est là, les gens disent: ''Oh, on ne peut pas le perdre''. Mais pourquoi? »

Si le potentiel acquéreur de la propriété évaluée à 104 millions de dollars par la Ville de Montréal décide que la bâtisse demeure debout, il devra apporter de sérieuses améliorations au site, insiste Mme Lambert à l'autre bout du fil.

« Il y a tous ces terrains, imaginez-vous, et il n'y a même pas de jardin ni rien! », fait remarquer énergiquement celle qui a été décorée du lion d'or d'honneur pour son l'ensemble de son oeuvre en 2014 lors de la Biennale d'architecture de Venise.

La ministre fédérale du Patrimoine, Mélanie Joly, a jusqu'à présent refusé de se prononcer sur la valeur patrimoniale du bâtiment ou de s'immiscer dans le processus de vente.

« On comprend que le gouvernement fédéral a une responsabilité historique mais également Radio-Canada a une indépendance et puis ça va être à Radio-Canada de prendre cette décision, d'étudier tous les scénarios », soutenait-elle mercredi dernier à Ottawa.

Cette réserve a été critiquée par le Nouveau Parti démocratique (NPD). La tour, qui a pignon sur rue dans une circonscription détenue par la députée néo-démocrate Hélène Laverdière, a clairement selon cette dernière « une valeur patrimoniale », et elle « appartient à la population ».

L'élue montréalaise juge que la ministre Joly a « le devoir » de s'impliquer dans le processus de vente et « de mettre certaines conditions à la vente éventuellement de la tour ».

Car en vertu de l'article 48 de la Loi sur la radiodiffusion, Radio-Canada ne peut procéder à la vente de l'un de ses immeubles dont la valeur dépasse 4 millions de dollars sans obtenir l'approbation du gouverneur en conseil, c'est-à-dire du conseil des ministres, a fait valoir Mme Laverdière.

Le Bloc québécois considère également que Mme Joly devrait se mêler du dossier. Et sur le fond, le chef intérimaire du parti, Rhéal Fortin, considère qu'un transfert des opérations vers un autre emplacement représente « une mauvaise nouvelle ».

« C'est des emplois pour le quartier mais c'est aussi d'envergure nationale. Radio-Canada, ce n'est quand même pas un petit restaurant du coin », martelait-il la semaine passée en point de presse dans le foyer de la Chambre des communes.

Le Syndicat des communications de Radio-Canada (SCRC) a demandé en février dernier l'intervention du gouvernement fédéral afin qu'il ordonne à la haute direction de la société d'État de mettre de côté son plan de vendre son siège social de Montréal.

La présidente du SCRC, Johanne Hémond, a dit trouver tout à fait « incompréhensible » de voir la haute direction s'« acharner » à vouloir vendre un patrimoine appartenant à tous les Canadiens alors que le nouveau gouvernement réinvestit dans le diffuseur public.

Le budget déposé mardi dernier par le ministre des Finances, Bill Morneau, prévoit l'injection d'une somme de 675 millions de dollars sur cinq ans pour Radio-Canada.