«Pactes de non-agression», liens avec le crime organisé, partage des territoires, soumissions de complaisance, menaces et intimidation : à la veille du dépôt du rapport de la commission Charbonneau, une enquête du Bureau de l'inspecteur général (BIG) révèle que la collusion est toujours bien ancrée dans le secteur du déneigement à Montréal. Le BIG a alerté le Bureau de la concurrence, l'organisme responsable des enquêtes criminelles sur la collusion au Canada.

C'est d'ailleurs par souci de ne pas nuire à une potentielle enquête criminelle que le BIG a décidé de masquer l'identité de la soixantaine d'entrepreneurs ainsi que des employés de la Ville qui ont été interrogés dans le cadre de son enquête.

En 2013, le vérificateur général de la Ville de Montréal avait noté, à la suite d'un audit, des indices permettant de croire la présence de collusion dans les opérations de déneigement.

«L'enquête du BIG permet de confirmer ces soupçons», peut-on lire dans le rapport de 48 pages qui sera officiellement déposé lundi après-midi au conseil municipal. «Ce que révèlent de nombreux témoins rencontrés est qu'il existe des stratagèmes de nature collusoire entre certains entrepreneurs, et ce, à la fois dans le domaine des contrats "clé en main", de transport de neige et de location d'équipements.»

«Une vingtaine d'entrepreneurs ont été identifiés, à divers degrés et par de nombreux témoins rencontrés, comme participant à des activités de nature collusoire», ajoute-t-il.

Dans son rapport, l'inspecteur général Me Denis Gallant explique que c'est autour de la notion de «territoire» que la collusion s'articule à Montréal. «Par respect» plusieurs entrepreneurs s'empêchent de soumissionner contre leurs compétiteurs parce qu'ils entretiennent une relation d'affaire ou d'amitié avec eux ou par peur de représailles.

Me Gallant cite en détail les différents stratagèmes utilisés pour y parvenir. Chose certaine, les entreprises collusionnaires sont désormais plus prudentes.

«Depuis la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (CEIC), les entrepreneurs seraient plus vigilants et les rencontres ne se feraient plus par téléphone, par courriel ou au restaurant, mais plutôt au coin d'une rue ou dans un véhicule pour ne pas attirer l'attention», peut-on lire dans le rapport.

Au final, la libre concurrence n'existe pas dans certains secteurs du marché du déneigement. «Selon un entrepreneur rencontré qui admet avoir fait de la collusion, les soumissions de complaisance peuvent être accompagnées d'une compensation financière. Il indique que les compensations peuvent varier entre 20 000 $ et 50 000 $ par contrat ou entre 1 $ et 3 $ le mètre linéaire», note le BIG.

Le BIG recommande au conseil municipal, qui a pleine compétence en matière de déneigement, de regrouper les appels d'offres qui viennent à échéance la même année en un seul et même appel d'offres pour chaque catégorie de contrat. «Cette mesure aura pour effet de rendre plus difficile le contrôle du marché par les entrepreneurs et de susciter davantage de concurrence», écrit-il.

En chiffres

100 : Nombre de témoins rencontrés par le BIG dans le cadre de son enquête

545 : Nombre de contrats de déneigement accordés par les arrondissements entre 2005 et 2013

167 : Nombre d'entreprises qui ont remporté des contrats de déneigement durant cette période

528 millions : Coût total des contrats de déneigement