Le gouvernement fédéral bloquera-t-il le déversement de 8 milliards de litres d'eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent à la mi-octobre ? Ce matin, le ministre conservateur et lieutenant québécois de Stephen Harper, Denis Lebel, s'est dit « très préoccupé » par cette décision de l'administration Coderre.

La Ville de Montréal a obtenu l'autorisation du ministère de l'Environnement du Québec pour procéder au déversement, mais attend toujours l'approbation finale d'Environnement Canada.

« Nous sommes très préoccupés par la situation entourant la décision de Montréal de déverser des eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent. La Direction générale de l'application de la loi d'Environnement Canada a déjà précisé que la Loi sur les pêches interdit les rejets non autorisés de substances nocives dans les eaux où vivent des poissons. Ils sont en lien avec la Ville en vue de recueillir des renseignements et d'évaluer les répercussions possibles d'un tel rejet », a déclaré le ministre Lebel dans un communiqué qu'il a fait parvenir à La Presse ce matin.

Les travaux

Après avoir étudié plusieurs scénarios, l'administration Coderre a tranché vendredi qu'elle n'avait pas d'autre choix que d'aller de l'avant avec le déversement en continu du tiers du réseau d'eaux usées de l'île, soit plus de quatre fois le volume du Stade olympique, dans le fleuve Saint-Laurent, du 18 au 25 octobre.

La vidange de l'eau a lieu dans le cadre des travaux d'abaissement de l'autoroute Bonaventure dans le but de faire disparaître la chute à neige du centre-ville. La construction d'une nouvelle chute nécessite la purge complète d'un intercepteur de 30 kilomètres compris entre les arrondissements de LaSalle et de Rivière-des-Prairies - Pointe-aux-Trembles. Cette immense conduite sert à pomper les eaux usées (toilettes, égouts, pluie) de ce secteur vers la station d'épuration de la métropole. Le puits de déchargement de la future chute à neige du centre-ville sera directement branché sur l'intercepteur. La Ville en profitera pour retirer quatre systèmes de soutènement vétustes dans l'intercepteur.

« Beaucoup d'espèces vivent dans le fleuve et des gens naviguent le fleuve, y pêchent et s'adonnent aux sports nautiques. Ils sont préoccupés avec raison », a ajouté M. Lebel dans son communiqué.

Ce matin, une pétition en ligne sur le site change.org qui demande la suspension du projet avait recueilli près de 55 000 signatures.

Pas d'alternative, selon Coderre

Le maire de Montréal, Denis Coderre, affirme qu'il n'y a aucune alternative au déversement de 8 milliards de litres d'eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent du 18 au 25 octobre afin de procéder à la reconstruction d'une chute à neige, malgré une vive opposition à cette démarche.

«Ça ne fait pas plaisir. Ce n'est pas de gaieté de coeur que l'on fonctionne de cette façon», a-t-il déclaré en point de presse, lundi.

L'une des notes discordantes est venue du ministre fédéral Denis Lebel, qui s'est dit «très préoccupé» tout en faisant référence à une évaluation d'Environnement Canada, qui n'a toujours pas autorisé la procédure.

Le maire de Montréal n'a guère apprécié cette référence au processus d'autorisation.

«J'espère que M. Lebel ne fera pas de la politique avec ça, parce qu'en 2003 et en 2007 il y avait eu aussi une approbation d'Environnement Canada», a rappelé le premier magistrat, faisant référence à des déversements similaires autorisés dans le passé pour des travaux.

L'agence fédérale, à la demande de La Presse Canadienne, a cependant envoyé par courriel une note indiquant que «la Loi sur les pêches interdit le dépôt non autorisé de substances délétères dans des eaux où vivent des poissons. En vertu du Règlement sur les effluents des systèmes d'assainissement des eaux usées, Environnement Canada ne peut pas autoriser ce type de déversement d'eaux usées. Environnement Canada est en communication avec la Ville de Montréal, recueillant de l'information et évaluant les implications potentielles d'un tel déversement.»

Le ministère de l'Environnement du Québec, lui, a déjà donné son aval, bien que le ministre David Heurtel ait reconnu que la situation n'était «pas idéale».

M. Coderre a fait valoir que le déversement des égouts était incontournable pour reconstruire la chute à neige qui se trouve sous la portion surélevée de l'autoroute Bonaventure, que l'on est à démolir.

«L'option que l'on a choisie aujourd'hui, on n'avait pas le choix», a-t-il laissé tomber devant les journalistes.

Les eaux usées qui seront rejetées représentent le tiers des égouts de Montréal et contiennent non seulement les déchets des toilettes, mais aussi des hôpitaux et des entreprises.

Le maire Coderre soutient que tous les experts s'entendent pour dire que le fleuve peut absorber ce déversement sans risque.

«Les experts disent que ça va aller à cause du débit d'eau, qu'il n'y aura pas de problème. (...) Il n'y a aucun impact sur notre eau potable; il n'y a aucun impact sur l'eau des municipalités environnantes», a-t-il insisté à quelques reprises, se référant au jugement d'experts consultés par la Ville.

Cependant, l'écologiste et candidat du Parti vert Daniel Green affirme que Montréal crée des risques inutiles en procédant maintenant, alors que ces risques auraient pu facilement être minimisés, même s'il admet que le déversement doit être fait pour procéder aux travaux requis.

«La Ville de Montréal aurait pu, par exemple, travailler au mois de février et on aurait pu déverser ces eaux usées quand il n'y a pas de migration de canards et d'autres oiseaux migrateurs, pas de chasseurs, de pêcheurs ou de plaisanciers sur le fleuve», a indiqué M. Green en entrevue avec La Presse Canadienne.

Entre-temps, selon lui, la neige aurait pu être accumulée sur les nombreux terrains vagues industriels déjà contaminés de la ville pendant que l'on construirait la nouvelle chute à neige.

L'opposition officielle à l'Hôtel de ville estime également que l'hiver aurait été un meilleur choix pour procéder aux travaux. Le porte-parole de Projet Montréal, Sylvain Ouellet, déplore que les élus de l'opposition, de même que les municipalités environnantes en aval de Montréal, n'aient pas été avertis plus longtemps à l'avance et consultés.

- avec Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne