Des critiques s'élèvent contre les exigences imposées par Montréal pour implanter un système de véhicules électriques en libre-service. La principale entreprise d'autopartage du monde craint d'être exclue en raison des critères trop serrés. Une comparaison des voitures utilisées par les principaux systèmes permet d'ailleurs de constater qu'un seul fournisseur répond aux exigences.

La principale entreprise d'autopartage du monde, car2go, dénonce les critères retenus par la Ville de Montréal pour implanter son projet de véhicules électriques en libre-service, estimant qu'ils l'excluent injustement.

Le maire Denis Coderre annonçait ce printemps son intention de doter Montréal d'un système de 1000 voitures électriques en libre-service. Avant de mener un appel d'offres en bonne et due forme pour trouver un fournisseur, l'administration montréalaise a décidé de lancer un appel d'intérêt international auprès des principaux gestionnaires afin de tester le marché.

Trois des critères retenus par Montréal soulèvent toutefois d'importantes inquiétudes chez car2go, qui est déjà implantée dans la métropole québécoise. «Présentement, on est exclus en fonction des critères de la Ville», dénonce Jérémi Lavoie, directeur général de la branche montréalaise de la société allemande.

«On est la plus grosse entreprise d'autopartage au monde, avec plus d'un million de membres dans 30 villes. On a une expertise dans les systèmes de plus de 1000 véhicules électriques dans trois villes, soit Amsterdam, Stuttgart et San Diego. C'est très surprenant de se faire exclure ainsi», dit Jérémi Lavoie.

Le principal irritant touche l'autonomie de 150 km exigée par Montréal. «C'est très étonnant, parce que la majorité des véhicules électriques n'ont pas 150 km d'autonomie», dit Jérémi Lavoie. La Smart Fortwo utilisée par car2go peut parcourir 109 km avec une charge de batterie.

Vérification faite, seulement quatre des 12 modèles de véhicules électriques actuellement homologués par Transports Canada affichent une autonomie supérieure à 150 km, tous quatre du constructeur Tesla. Ces voitures se vendant plus de 80 000$, aucune n'est utilisée en ce moment par des systèmes de VLS.

Un nouveau modèle de véhicules électriques répondant au critère d'autonomie de Montréal pourrait toutefois bientôt s'ajouter à la liste de Transports Canada. La Bluecar, qu'utilise le groupe Bolloré pour Autolib' à Paris, est en cours d'homologation aux États-Unis. Celle-ci (BlueIndy) doit en effet faire son apparition dans les rues d'Indianapolis d'ici la fin de l'été.

Autres critères dénoncés

car2go déplore aussi que Montréal «préconise» l'adoption de véhicules quatre passagers dans son projet. L'appel d'intérêt en cours précise que les «voitures pour quatre passagers sont préconisées pour favoriser l'utilisation du service par les familles». Or, la Smart Fortwo de car2go n'offre que deux places, ce qui la disqualifierait lors d'un éventuel appel d'offres.

Autre irritant pour car2go, le projet de Montréal demande que le système des voitures soit compatible avec la carte Opus. «On s'en va complètement sur le téléphone intelligent pour déverrouiller nos véhicules. On ne veut plus utiliser de carte du tout», plaide Jérémi Lavoie.

Communauto moins inquiète

Elle aussi déjà présente à Montréal avec son service Auto-mobile, Communauto se montre moins inquiète quant aux critères mis de l'avant par Montréal. «On considère que l'appel d'intérêt est intéressant. On s'y retrouve, même s'il y a quelques détails qui devraient être peaufinés», dit Marco Viviani, directeur du développement de l'entreprise québécoise.

Communauto trouve elle aussi étrange le critère de 150 km d'autonomie énoncé dans l'appel d'intérêt et espère que celui-ci sera modifié. «La baisse de quelques dizaines de kilomètres permettrait d'avoir une plus grande disponibilité de véhicules pour un tel projet. Mettre 150 km, ce n'est peut-être pas la valeur la plus adaptée. Mais je comprends qu'on ne veut pas de voiturettes de golf», dit Marco Viviani.

Malgré ces écueils, les deux entreprises déjà présentes à Montréal comptent répondre à l'appel d'intérêt qui prend fin le 24 août prochain. car2go espère que Montréal révisera ses critères à l'issue du processus pour éviter d'être indûment écartée lors de l'appel d'offres. «On va se faire entendre, mais ça commence mal, s'inquiète Jérémi Lavoie. Il n'y a pas de raisons logiques pour ces critères. On espère [que les responsables] vont modifier le processus, parce qu'ils partent dans une direction qui soulève beaucoup de questions. On ne comprend pas pourquoi ils excluent le plus gros fournisseur d'autopartage au monde.»

Des critères trop restrictifs, selon deux experts

Imposer une autonomie minimale de 150 km aux véhicules électriques limiterait sérieusement le nombre d'entreprises susceptibles d'implanter un système en libre-service à Montréal, estiment deux spécialistes.

« Si ce critère est adopté, ça ferme la porte à plusieurs fournisseurs. Et ce n'est pas vraiment nécessaire », estime Robert Dupuy, porte-parole de l'Association des véhicules électriques du Québec (AVEQ). M. Dupuy souligne que les voitures en libre-service roulent sur de courtes distances et peuvent être facilement rechargées entre chaque utilisation.

Le critère relatif à l'autonomie de la batterie est d'autant plus délicat que celle-ci varie considérablement en fonction de la température et de la conduite. « Dans la vraie vie, ça varie de 100 à 140 km. Ça dépend beaucoup, beaucoup du climat », souligne Robert Dupuy.

Sur papier, l'i-MiEV de Mitsubishi peut rouler 100 km sur une charge, selon les données de Transports Canada. Le constructeur japonais prétend toutefois que sa voiture peut atteindre 160 km. Mais pour parcourir cette distance, la température ambiante doit être de 25 °C. À l'inverse, Mitsubishi admet que sa batterie ne permettra de parcourir que 48 km en hiver, dans une ville congestionnée. Fait à souligner, ce test « hivernal » du constructeur japonais a été réalisé à une température de 0 °C.

Signe que le critère de 150 km est trop élevé, seuls les véhicules de Tesla affichent une telle autonomie. Mais Robert Dupuy éclate de rire quand on lui demande si un système de VLS électrique pourrait miser sur ces voitures de luxe. « On ne met pas une voiture de 100 000 $ qui fait du 0 à 100 km/h en 2,8 secondes dans les mains de tout le monde. »

Importants changements à venir

Si une autonomie de 150 km est aujourd'hui difficile à atteindre, elle ne le sera plus d'ici un à deux ans, prévient Catherine Kargas, de Marcon, firme de consultation en stratégie, notamment des transports, faisant la promotion de l'électrification des transports. Celle-ci croit que l'appel d'offres de Montréal devrait ainsi davantage tenir compte des progrès technologiques rapides dans cette industrie.

L'appel d'intérêt de Montréal précise pour le moment que le modèle doit avoir reçu son homologation de Transports Canada au moment du processus. « En aucun cas, un véhicule en cours d'homologation ne pourra être considéré », peut-on lire.

« La Ville doit garder en tête que la technologie en 2016, ce n'est pas celle qui va être commune dans les véhicules électriques de 2017 ou 2018 », souligne Catherine Kargas, qui préside aussi Mobilité électrique Canada.

Chevrolet a annoncé que sa Volt devrait avoir une autonomie de 300 km. Ce véhicule devrait être offert au Canada à la fin de 2016. Nissan doit aussi présenter en 2017 une voiture avec une autonomie accrue. Tesla travaille sur un modèle plus économique d'ici deux ans. « Il y aura plus de choix et je crois que la Ville devrait refléter les changements au niveau de la technologie », estime Mme Kargas.

Critères de Montréal

1000 véhiculesGPS intégré

Compatibilité avec la carte Opus

La vitesse maximale doit dépasser les 40 km/h

Autonomie de 150 km en été

Voitures 4 occupants « préconisées »

Homologation de Transports Canada