La ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion ne veut pas qu'Hamza Chaoui ouvre un centre de jeunes dans l'est de Montréal, mais La Presse a appris que le projet avait déjà reçu l'aval de l'arrondissement, qui autorise l'imam à transformer le local qu'il loue.

Mercier-Hochelaga-Maisonneuve a autorisé le réaménagement du local désaffecté en «salle communautaire» il y a trois jours, soit mardi.

Presque deux semaines auparavant, La Presse avait informé l'arrondissement que Hamza Chaoui annonçait l'ouverture prochaine du centre sur Facebook. L'avant-veille de la délivrance du permis, l'imam confirmait sur la même plateforme qu'il donnerait lui-même des cours de religion au Centre Ashabeb.

Jeudi, en fin d'après-midi et en soirée, le cabinet du maire d'arrondissement n'avait toujours pas répondu à nos messages ni à nos appels.

Plus tôt en journée, la ministre de l'Immigration qualifiait de «dangereux» les propos de Hamza Chaoui.

«Je ne voudrais pas dire [aux gens de] la Ville quoi faire, mais je pense qu'ils doivent regarder cette question-là [au-delà] des questions d'architecture ou d'aménagement urbain. Il y a l'enjeu très profond des valeurs à véhiculer», a plaidé Kathleen Weil lors d'une mêlée de presse. Elle dit faire confiance en la Ville dans l'analyse du dossier.

«Évidemment, mon souhait c'est qu'on n'ait pas de place, de mosquée, [de centre communautaire] où on peut véhiculer ces concepts», a déclaré la ministre. Les propos de cet imam sont à ses yeux «totalement inacceptables dans une société démocratique, une société de droit où on prône l'égalité entre les hommes et les femmes».

«C'est dangereux dans le sens où ce qu'on véhicule, c'est ni plus ni moins l'oppression des femmes. C'est une déformation de nos valeurs», a-t-elle ajouté.

Le maire Coderre s'est montré moins ferme que la ministre. Il a prévenu que le dossier serait analysé en profondeur, y compris sous l'angle de la sécurité publique. Il a dit vouloir éviter les «débordements».

«Pour moi, c'est important de savoir ce qui en est. On ne parle pas de mosquée ici, on parle de centre communautaire. Qu'est-ce que ça veut dire? Et dans la foulée de toute la notion de vigilance, est-ce qu'il y a un propos radical qui peut amener un débordement? Est-ce que ce n'est pas de mettre de l'huile sur le feu justement? On va tout analyser ça, en étant tout à fait factuel», a-t-il expliqué, de passage à Québec jeudi.

Mme Weil et M. Coderre réagissaient à un article de La Presse qui rapportait les propos à teneur fondamentaliste que M. Chaoui avait tenus dans le passé. L'imam considère notamment l'islam comme «complètement incompatible» avec la démocratie, car les électeurs pourraient choisir des homosexuels ou des athées. Il défend aussi l'amputation des mains chez les voleurs, la lapidation des adultères, l'obligation pour les hommes de porter la barbe et l'interdiction d'écouter toute musique.

Lieu religieux ou communautaire?

S'il a déjà délivré un permis de transformation du local, l'arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve analyse toujours la demande de certificat d'occupation du Centre Ashabeb.

Normalement, cette étape ne consiste qu'à vérifier si l'utilisation d'une adresse correspond à son zonage. Le maire d'arrondissement Réal Ménard a déjà indiqué que dans ce dossier précis, des enjeux sécuritaires et de compatibilité avec le milieu seraient aussi analysés.

Au comptoir d'information de l'arrondissement, un préposé a confirmé à La Presse que le local en question ne pouvait accueillir un lieu de culte, en vertu du règlement de zonage local. On autorise toutefois un usage communautaire.

L'inspecteur de l'arrondissement - chargé d'appliquer ce règlement - a été envoyé sur place en milieu de journée le 14 janvier dernier, après que La Presse eut soulevé des questions sur le projet.

Le même jour, l'annonce de l'ouverture imminente du centre sur le profil Facebook de Hamza Chaoui a été modifiée. Alors qu'en matinée on y lisait qu'on y pratiquerait les «cinq prières quotidiennes» et «la prière du vendredi», ces précisions ont été retirées à 20h50.

Réactions des élus

« J'appuie les autorités municipales dans leurs démarches de vérification de la compatibilité d'un centre communautaire dirigé par cet imam avec le milieu. Ses propos sur la place que devraient occuper les femmes et les homosexuels dans notre société sont incompatibles avec nos valeurs. » 

- Carole Poirier, députée d'Hochelaga-Maisonneuve et porte-parole du Parti québécois en matière de condition féminine

« Comme le gouvernement n'a pas agi, qu'il n'y a pas de loi qui aide les administrations locales à se dépatouiller avec tout ça, Montréal se retrouve avec la patate chaude. Elle devra trancher faute d'avoir des balises du gouvernement provincial. [...] C'est un imam qui a des propos rétrogrades et qui méprise la démocratie. » 

- Nathalie Roy, députée caquiste et porte-parole en matière de justice et de laïcité

« Comme féministe et députée, je ne peux que m'indigner face à des discours comme ceux-là. J'invite les autorités municipales compétentes à prendre de grandes précautions dans l'étude du dossier. » 

- Manon Massé, députée de Québec solidaire

« M. Chaoui tient un discours absolument réactionnaire, haineux. Il est important que les pouvoirs publics s'en occupent. Jusqu'à quand allons-nous tolérer que des prédicateurs religieux continuent de tenir [ce type de] discours ? [...] On est régis par des chartes, par des valeurs, des principes. Est-ce que, dans l'absolu, on peut accepter que des personnes tiennent des discours haineux, que leur mission, leur fonction dans notre société soit celle-ci ? Moi, je ne le pense pas. » 

- Djemila Benhabib, militante pour la laïcité et ex-candidate péquiste

- Propos recueillis par Tommy Chouinard