Il faisait - 41 °C, hier à 2h30 du matin, quand l'agent Laurent Dyke s'est retrouvé devant le sans-abri. L'homme était emmitouflé dans son sac de couchage. La navette qui aurait pu le conduire au refuge était garée tout près. Malgré tout, il ne voulait pas partir. Il refusait de se rendre dans l'un des refuges de Montréal.

«On s'est assis et on s'est dit: mais qu'est-ce qu'on peut faire?», raconte l'agent Dyke, qui fait partie de l'Équipe mobile de référence et d'intervention en itinérance (EMRII). «On n'avait rien pour agir.»

Pour convaincre cet homme de dormir au chaud, des intervenants du réseau de la santé proposent d'établir un réseau de haltes chauffées lors des grands froids, afin de permettre aux sans-abri qui refusent d'aller dans les refuges de ne pas mourir gelés.

«Il faudrait faire ce qu'on fait l'été lors des canicules. On va voir les personnes âgées et on leur dit: venez pour quelques heures dans une aire climatisée. On devrait faire la même chose par grand froid, avec quelques locaux chauffés. Ça pourrait même être certaines stations de métro qu'on laisserait ouvertes toute la nuit», explique Jason Champagne, directeur des services généraux et des programmes spécifiques au CSSS Jeanne-Mance.

Quelques dizaines d'irréductibles

M. Champagne s'occupe depuis plusieurs années de l'équipe itinérance du CSSS. Chaque nuit de grand froid, il envoie sur le terrain des intervenants qui tentent de convaincre les sans-abri de gagner les refuges.

Toutes les portes sont ouvertes dans les refuges, qui ne refusent personne et ont même démarré un service de navette pour faciliter le transit entre les établissements.

Mais malgré les efforts de ces intervenants, combinés à ceux des policiers, certains choisissent de ne pas dormir dans les refuges. On parle de quelques dizaines d'irréductibles sur le territoire montréalais.

Ces hommes ont chacun leurs raisons de refuser l'hébergement. Certains sont paranoïaques. D'autres ont peur des agressions sexuelles. Ou alors, ils ne veulent pas abandonner les effets personnels qu'on leur demandera de laisser de côté dans les refuges, pour des raisons d'hygiène.

Dans le cas où la personne a clairement perdu le contact avec la réalité, les intervenants peuvent l'emmener de force à l'hôpital. «Mais quand les gens sont lucides et refusent, on ne peut rien faire. Le résultat, c'est qu'il y a des humains dehors quand il fait des températures glaciales. Ils sont en danger de mort», souligne M. Champagne.

Se rendre dans un local qui n'est pas un refuge serait probablement une solution acceptable pour ces sans-abri récalcitrants, croit-il. «Il y a une certaine cohorte, c'est un peu l'itinérance cachée, qui n'ira jamais coucher dans un dortoir, mais qui se rendrait probablement dans un local chauffé.»

La Direction de la santé publique de Montréal (DSP) a récemment publié un avis médical sur les mesures à prendre en période de grand froid, où on propose exactement la même chose.

Lors des froids extrêmes - que la santé publique situe à -15 °C lorsqu'il y a du vent -, on pourrait «donner accès à des sites qui sont minimalement chauffés pour la nuit, idéalement pour du répit. Ces sites pourraient inclure des espaces publics chauffés, des édicules de métro, des sections du Montréal souterrain», suggère le Dr Stéphane Perron, de la DSP.

Le Service de police de la Ville de Montréal n'est pas contre cette proposition. «Ça fait longtemps qu'on se pose cette question-là», dit l'agent Laurent Dyke. «L'idée des haltes-chaleur est intéressante, mais il faudrait qu'il y ait une certaine supervision», conclut Vincent Richer, commandant du poste de quartier 21.