Y a-t-il vraiment trop de restos à Montréal? C'est ce que laissent entendre l'Association des restaurateurs du Québec et certains observateurs du milieu de la restauration. Il faut dire que l'année 2014 a été témoin de quelques fermetures crève-coeur: Chez Magnan, Globe, Le Latini, Le Continental... Est-ce un processus normal ou faut-il s'en inquiéter? En cette période d'austérité, alors que les restaurants se préparent à affronter le toujours difficile mois de janvier, nous avons posé la question à François Pageau, professeur à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec.

Y a-t-il trop de restaurants à Montréal?

On ne peut pas répondre à cette question, car il faudrait établir une mesure à partir de laquelle il y en a trop ou pas assez. Je ne suis pas aussi alarmiste que l'Association des restaurateurs du Québec. Dans les derniers jours, on a brandi le chiffre de 26,8 restaurants pour 10 000 personnes à Montréal (soit plus qu'à New York et San Francisco). Mais ces statistiques mettent tous les restos dans le même panier, on ne sait pas où ils sont situés, de quelle taille ils sont. S'agit-il de restauration rapide ou de restos avec service complet? On ne le sait pas. Les statistiques du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) ne précisent pas le nombre d'ouvertures et de fermetures. Par contre, ce qu'on sait, c'est que le Québec détient le record de faillites de restaurant au Canada.

Est-ce qu'il est plus facile d'ouvrir un resto au Québec qu'ailleurs dans le monde, ce qui expliquerait le très grand nombre d'établissements?

Ce n'est pas plus facile ici qu'ailleurs. À l'exception de la Suisse, où il faut avoir suivi un cours pour pouvoir ouvrir un restaurant, il n'y a pas beaucoup de barrières. Au Québec, il faut avoir suivi une formation du MAPAQ, c'est tout. Certains prônent des quotas. C'est le cas dans une portion de la rue Sherbrooke, où le nombre de restaurants permis est limité. Personnellement, je m'oppose aux quotas, car cela voudrait dire que le nouveau Toqué! n'ouvrirait peut-être pas. Les restaurants, c'est comme un jeu de blocs. Certains ferment, d'autres ouvrent. C'est ça, la concurrence.

Dans le documentaire Sous pression, le chef propriétaire Martin Juneau souligne que les restaurants montréalais ne durent pas longtemps. Comment l'expliquer?

Il a tout à fait raison. Cela s'explique par le phénomène de mode. Cela dit, on parle d'un certain groupe de restaurants, car il y a plein de restaurants qui existent depuis très longtemps et qui sont toujours ouverts, mais dont on ne se préoccupe pas du tout.

Mais si on prend les restaurants bien en vue, il est certain qu'ils doivent se renouveler constamment pour rester dans le coup. Peut-être qu'il est plus simple pour eux de fermer et de rouvrir sous un autre nom que de changer de l'intérieur? Peut-être que c'est sain aussi que des restaurants ferment.

Faut-il voir le vieillissement de la population québécoise comme une menace supplémentaire pour les restaurateurs québécois?

Absolument pas. La vieillesse d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celle d'antan. Les personnes âgées aujourd'hui ont encore des dents, elles ont beaucoup voyagé, elles ont vu le monde et disposent de temps de loisir. C'est une chance pour l'industrie de la restauration. Il y aura une obligation de qualité pour cette clientèle, qui a vu le monde, qui a goûté aux cuisines d'ailleurs et qui aime manger au restaurant.

On parle beaucoup ces temps-ci du phénomène des clients qui réservent mais ne se présentent pas au restaurant. Est-ce un gros problème dans l'industrie?

Encore une fois, on n'a pas de chiffres pour quantifier l'ampleur du phénomène, mais c'est avant tout une question de respect, celui des restaurateurs d'abord et des autres en général.

Récemment, dans une entrevue, le chef-propriétaire du restaurant Toqué!, Normand Laprise, a affirmé que les grands restaurants montréalais ne sont pas assez chers. A-t-il raison?

Tout à fait. Le problème, du point de vue des restaurants haut de gamme, c'est que les restaurants de milieu de gamme offrent une très bonne qualité et leur font concurrence. Cela empêche les restaurants comme Toqué! d'augmenter leurs prix. Et s'ils les augmentaient, les cuisiniers voudraient que leurs salaires soient augmentés à leur tour. Ils font des salaires de misère - autour de 12 ou 13$ l'heure -, bien en deçà de la rigueur qu'exige leur travail. Je ne parle pas de ceux qui réchauffent les plats, mais bien de ceux qui créent et travaillent fort en cuisine. Leurs conditions sont assez scandaleuses.