Au moment même où le gouvernement fédéral présente le design d'un pont qui « devient vraiment de plus en plus concret », des dizaines de familles de Verdun apprennent qu'elles seront chassées de leur maison en raison de l'élargissement de l'autoroute 15, prévu dans le corridor de ce même pont fédéral.

Thérèse Lemay et Jacques Labre sont ébranlés. Des représentants du gouvernement fédéral les ont rencontrés vendredi matin pour leur annoncer que d'ici un an, ils devront quitter la demeure familiale dans laquelle ils habitent depuis plus de 30 ans. Leur résidence ainsi que toutes celles de la rue May, à Verdun, seront rayées de la carte pour laisser place à une troisième bretelle de l'autoroute 15, construite dans la foulée du projet de remplacement du pont Champlain.

« Je suis assez à l'envers, laisse tomber Thérèse Lemay, au bord des larmes. Voyons donc! Me semble que tu ne déloges pas des gens de même. » C'est un choc pour le couple de septuagénaires qui, après avoir investi des milliers de dollars pour rénover sa maison, croyait y finir ses jours.

L'élargissement de l'autoroute 15 entre le pont Champlain et la sortie Atwater, vers le centre-ville de Montréal, entraînera la démolition de 16 maisons qui comptent au total une trentaine de logements, le long de l'autoroute actuelle. Le ministre fédéral de l'Infrastructure et des Collectivités et responsable du projet du pont Champlain, Denis Lebel, a révélé vendredi que l'acquisition et la démolition de ces maisons seront nécessaires afin d'élargir l'A15, qui passera de deux à trois voies par direction, sur une distance d'environ trois kilomètres, entre le nouveau pont et la sortie Atwater. La réalisation de ce chantier est prévue d'ici 2020.

Les résidants de la rue May ont reçu mercredi une lettre d'Ottawa les avisant que des représentants du gouvernement souhaitaient les rencontrer pour discuter avec eux du projet de construction du pont Champlain qui allait affecter leur propriété. L'expropriation n'était évoquée nulle part dans cette première communication. Lors du passage de La Presse vendredi après-midi, les habitants d'au moins deux domiciles avaient rencontré les agents gouvernementaux qui leur ont annoncé la nouvelle. 

Vendredi, plusieurs résidants ignoraient toujours qu'ils seraient expropriés sous peu. C'est La Presse qui en a informé les Campanelli, qui avaient pris connaissance de la lettre envoyée par Ottawa le matin même. Ils ont appelé au numéro qu'on leur a fourni, mais impossible d'en apprendre davantage. On voulait les rencontrer chez eux.

Propriétaire d'une grande maison depuis quatre ans, le couple, qui a trois enfants, a investi près de 50 000 $ en rénovations. Il était toutefois moins atterré par la nouvelle que certains voisins. « C'est le fun, je n'aurai pas à la vendre! », lance à la blague le père de famille, Tony Campanelli. Sa conjointe, Sophie Hébert, nuance qu'il faut encore attendre l'offre du gouvernement avant de se réjouir. N'empêche, la famille sait qu'elle aura de la difficulté à retrouver un bâtiment avec un tel cachet pour aussi peu cher. « Des maisons avec quatre chambres comme ici, c'est difficile à trouver », ajoute M. Campanelli.

De son côté, le maire de Verdun, Jean-François Parenteau, a affirmé être au courant de ce projet d'expropriation depuis un bon moment, mais devait respecter une clause de confidentialité. Il a ajouté être surpris que le gouvernement fédéral en fasse l'annonce, car il n'en avait pas été avisé. Le maire Parenteau a aussi assuré qu'il rencontrera les résidants de la rue May dans les jours qui suivent pour écouter leurs préoccupations et discuter d'un dédommagement qui leur sera offert.

Un patrimoine rasé

Au dire de Thérèse Lemay, les résidences de la rue May font partie des premières maisons construites à Verdun. Érigée à la fin du XIXe siècle, sa vaste demeure de style victorien a comme unique défaut d'être voisine directe de l'autoroute 15. Mais le bruit n'a pas empêché le couple d'en faire son domicile familial. « Quand on a vu la maison et qu'on a vu ce qu'on pouvait faire avec, on [n'a pas hésité à l'acheter] », se remémore Mme Lemay, qui assure avoir déjà décliné plusieurs offres d'achat sur sa propriété. 

Dans les semaines à suivre, des évaluateurs iront estimer la valeur des maisons à raser. Les propriétaires auront jusqu'à la fin de l'été pour faire effectuer une contre-évaluation de leur résidence, car Ottawa souhaite en prendre possession d'ici l'automne, ont rapporté les citoyens rencontrés. Ceux-ci auront ensuite jusqu'au mois de juillet 2015 pour plier bagage.

Le ministre Lebel a dit regretter ces impacts directs sur la population, tout en défendant le tracé choisi pour le corridor du nouveau pont, qui n'a pas encore de nom mais qui ne s'appellera pas Champlain. M. Lebel a tenu à souligner que le gouvernement du Québec a fait pire avec le projet de reconstruction de l'échangeur Turcot, dans le même secteur de la ville. Ce projet nécessitera la disparition de 106 logements.

Démolitions essentielles

« Nous avons travaillé de près avec la Ville de Montréal pour déterminer quel serait le meilleur emplacement » pour construire le nouveau pont et ses voies d'accès, a affirmé vendredi le ministre. Le nouveau pont sera parallèle au pont actuel, et les deux structures seront séparées par une dizaine de mètres à peine. Malgré cela, affirme le ministre, « le tracé sélectionné pour le pont et l'A15 nécessite que le gouvernement fasse l'acquisition de nombreux terrains », dont la vaste majorité serait de propriété publique. Selon M. Lebel, 99,7 % des terrains requis appartiennent à la Ville de Montréal ou au gouvernement du Québec. Ils sont déjà en voie d'acquisition.

Toutefois, même si elles représentent seulement 0,3 % des lots à acheter, les 16 maisons ciblées et l'arrière-cour d'un immeuble à condominiums devront « absolument » être rasées. « L'acquisition de ces terrains, a affirmé le ministre Lebel, est absolument essentielle afin de pouvoir élargir l'autoroute 15 et assurer la sécurité et la fluidité de la circulation dans le corridor du pont. La situation actuelle, selon tous les experts, serait intenable. »

Le directeur du projet, Marc Brazeau, de Transports Canada, a tenu à souligner que le gouvernement fédéral tentera d'arriver à des accords de gré à gré avec chaque propriétaire ou locataire sans recourir à l'expropriation.