Les Montréalais ne pourront pas fêter dans les bars jusqu'au petit matin. La Régie des alcools a rejeté le projet-pilote de la Ville de Montréal, qui souhaitait étendre leurs heures d'ouverture jusqu'à 6h, jugeant l'expérience trop improvisée.

Dans leur décision de 38 pages, les régisseurs Daniel Lord et Saifo Elmir en arrivent à «la conclusion que ce projet est contraire à l'intérêt public et est susceptible de nuire à la tranquillité publique».

La Régie critique durement les démarches de la Ville, y voyant un projet improvisé. «La conception et la planification d'un projet d'une telle importance et d'une telle sensibilité pour la population sont déficientes. Un tel projet aurait mérité que l'on prenne le temps de réfléchir et de se documenter sur sa faisabilité à la lumière des résultats et des expériences vécues ailleurs dans le monde», peut-on lire.

Lors des audiences, le responsable du projet à la Ville de Montréal n'avait pas été en mesure de préciser les objectifs poursuivis avec cette expérience. Il avait simplement indiqué aux régisseurs que l'idée venait du maire Denis Coderre, à la suite de son expérience à la Nuit blanche.

L'avocat embauché par la Ville pour plaider le dossier, Richard Phaneuf, avait tenté de faire accepter le projet-pilote en le présentant comme une «manifestation sociale». Une clause permet en effet à la Régie d'autoriser la vente d'alcool après 3h dans de telles situations. Mais voilà, «la manifestation sociale n'est pas de faire une enquête terrain dans le cadre d'un projet-pilote», ont tranché les régisseurs.

La Régie des alcools estime que Montréal a trop misé sur les impacts économiques et pas assez sur les impacts humains. «Nous sommes déçus de constater que la perspective économique ait pris autant de place dans la proposition, alors qu'en réalité, l'enjeu de la santé publique est complètement absent.»

Les régisseurs se sont dits étonnés de la position aussi favorable du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) par rapport au projet. «Nous avons l'habitude d'avoir devant nous des policiers qui, avec détail et précision, viennent nous expliquer le fragile équilibre à assurer la sécurité publique sur le territoire, sans que des conditions exceptionnelles soient créées. [...] Nous n'avons malheureusement pas été rassurés par les réponses aux questions posées en ce qui a trait à la vision et à l'engagement du SPVM dans ce projet.»

Déception

La Ville avait pourtant bon espoir d'obtenir le feu vert pour son projet-pilote. Des employés de la Ville se sont affairés hier à placer des affiches dans les rues Saint-Denis et Crescent pour inviter les fêtards à limiter le bruit. Rappelons que cinq sonomètres devaient suivre en temps réel le bruit dans les deux artères commerciales.

Le projet-pilote prévoyait que 19 bars des rues Saint-Denis et Crescent pourraient ouvrir leurs portes jusqu'à 6h, pendant quatre fins de semaine, à partir de ce soir.

Le maire s'est montré déçu de la décision de la Régie par rapport à son projet-pilote. «Une occasion ratée pour Montréal, a-t-il dit, rencontré en soirée hier. Quand on vient me dire dans la décision qu'on n'était pas assez documentés, allô!? C'est un projet pilote. Le rôle du projet-pilote, c'était quatre week-ends, trois jours, trois heures de plus chaque jour, justement pour documenter.»

M. Coderre soutient par ailleurs que la Ville ne pourra pas interjeter appel de la décision.

«C'est une décision finale, a mentionné le maire. On pourra le redemander éventuellement, mais il faut que ce soit clair. On avait encadré le projet à tous les niveaux, on voulait documenter l'expérience montréalaise. Même si ça se passe en Australie, à Vienne ou à New York, on a besoin de savoir comment Montréal va réagir.» La nouvelle a évidemment déçu les propriétaires de bars qui devaient prendre part au projet-pilote. «J'avais engagé du monde, fait des meetings: on avait travaillé fort pour être prêts. Je trouve ça plate, faut que je les appelle pour leur dire qu'ils n'ont pas besoin de rentrer», s'est désolé Michel Lavallée, propriétaire de l'Île noire. Le bar de la rue Saint-Denis avait notamment engagé des agents de sécurité pour assurer le bon déroulement de la soirée, une mesure dont il n'a habituellement pas besoin dans son établissement.

Réactions en rafale

«On est satisfaits, mais surpris parce qu'on n'avait pas beaucoup d'espoir. Pour nous, c'était important de rappeler qu'une décision comme ça ne se prend pas seulement en prenant en compte les bienfaits économiques. Ce qu'on reprochait, c'est que Montréal n'avait pas regardé ailleurs les précédents, et quand nous, on l'a fait, ça nous a démontré que nos inquiétudes étaient fondées.»

 - Marie-Claude Morin, Mères contre l'alcool au volant (MADD)

«Montréal manque une belle occasion. Mais je sens en même temps que la porte est encore ouverte. J'espère que la Ville va se donner un an et retravailler son projet.»

 - Michel Lavallée, propriétaire du pub l'Île noire

«La décision de la Régie des alcools met en lumière l'improvisation totale du maire Coderre dans ce dossier, qui n'a pas pris le temps d'analyser les impacts de cette proposition.»

 - Sterling Downey, conseiller de Projet Montréal

«Je suis très satisfait de la décision. Je trouve que les affaires au niveau du night life de Montréal se portent assez bien comme ça, et on n'avait pas besoin de surenchérir, surtout pas sur une plage horaire qui ciblait les 18-25 ans principalement.»

 - Alexandre Besnard, propriétaire de 14 bars à Montréal