Infiltrations d'eau, problèmes avec les égouts, façades en mauvais état: les problèmes s'accumulent à certaines adresses des grandes artères commerciales de Montréal. Sur le boulevard Saint-Laurent, des propriétaires d'immeubles commerciaux sont si «négligents» que la Société de développement commercial conseille parfois aux futurs entrepreneurs d'aller s'installer ailleurs.

«Si des locaux sont toujours vacants sur la Main, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas preneur. Des propriétaires n'entretiennent pas leur bâtiment et demandent des loyers déraisonnables. Pour certaines adresses, on dit tout simplement aux futurs entrepreneurs de ne pas y aller», explique à La Presse Glenn Castanheira, directeur général de la Société de développement du boulevard Saint-Laurent (SDBSL).

Cette importante artère, au coeur de Montréal, affiche un taux d'inoccupation de moins de 5%. Un signe que l'activité économique s'améliore, souligne M. Castanheira, alors que la moyenne est de 9% sur l'ensemble du territoire.

«C'est loin d'être la majorité des propriétaires qui sont irresponsables, mais cette minorité affecte la majorité. Des immeubles sont vacants depuis longtemps et n'affichent même pas de pancartes à louer. Même si on assiste à une relance, c'est une problématique immense qui brime le développement commercial», dit M. Castanheira.

Une Régie du logement commercial

Les logements commerciaux en mauvais état ne sont pas exclusifs au boulevard Saint-Laurent, confirme Mike Parente, directeur général de l'Association des sociétés de développement commercial de Montréal (ASDCM). «Vous n'avez qu'à vous promener à Montréal pour en voir plusieurs», dit-il d'entrée de jeu lorsqu'on le questionne sur le sujet.

Une solution est proposée par certains acteurs du développement commercial de la métropole: la création d'une Régie du logement commercial, qui aurait les pouvoirs pour serrer la vis aux propriétaires négligents.

«On veut un guichet unique où il y aurait des obligations pour les propriétaires de logements commerciaux. Quand ils sont non encadrés, [les négligents] affectent l'économie montréalaise, qui affecte à son tour l'économie du Québec», affirme M. Castanheira.

Dans un monde idéal, estime Glenn Castanheira, cette nouvelle Régie pourrait forcer les propriétaires à réparer les bris à l'extérieur des commerces dans les 30 jours suivant leur signalement. En suivant l'évolution du marché, elle pourrait aussi influencer la hausse des loyers, parfois vertigineuse, explique la SDBSL.

Montréal cogite

À l'hôtel de ville, les différentes formations politiques préparent des plans afin de trouver une solution à cet enjeu. Au cabinet du maire Denis Coderre, on explique qu'on a déjà rencontré les directeurs des sociétés de développement.

«On prépare [une stratégie] de développement des affaires commerciales et on veut aborder plusieurs solutions à ce problème. On va considérer ce qui est proposé, notamment la [Régie du logement commercial]. Mais pour l'instant, nous ne sommes pas prêts à dévoiler quoi que ce soit», a expliqué Louis-Pascal Cyr, directeur des communications du maire de Montréal.

L'opposition officielle voudrait aussi présenter un projet sur ce dossier, selon ce qu'a appris La Presse. «C'est le genre de chose que l'on parle en caucus. Nous pourrions présenter un projet dans quelques mois, au conseil de ville», confirme la porte-parole de Projet Montréal, Marie-Ève Gagnon, sans toutefois en dire davantage.

L'option d'une nouvelle Régie est une proposition intéressante, croit le directeur général de la Société de développement commercial Quartier latin, Philip O'Dwyer.

«Je suis favorable à un certain encadrement. Par exemple, quand l'ancien gouvernement a annoncé que Revenu Québec irait s'installer dans l'îlot Voyageur en 2019, les propriétaires étaient contents. Ça augmentait la valeur de leurs immeubles. Mais si on hausse les loyers maintenant, alors que nous ne sommes qu'en 2014, on perd l'équilibre pour les commerçants qui n'ont pas encore cette clientèle», explique M. O'Dwyer.

S'il est enthousiaste par rapport à l'idée, celle-ci ne fait toutefois pas l'unanimité auprès des différentes SDC.

«Je ne crois pas que nous allons en arriver là. La beauté de la chose, dans le logement commercial, c'est qu'il est possible de tout négocier. Si quelqu'un s'y prend mal, il vivra peut-être une situation difficile, mais bon, c'est un cri du coeur. L'important est de bien négocier», affirme le directeur général de la Société de développement de l'avenue du Mont-Royal, Charles-Olivier Mercier.

Pour s'assurer d'avoir un bail qui respecte ses attentes, Mike Parente conseille d'engager des avocats pour bien lire toutes les clauses.

«Si je signe un bail de 5000$ par mois sur cinq ans, ça veut dire que je paierai au final près de 250 000$. Ça vaut la peine de bien regarder les contrats que l'on signe», dit-il.

«Je crois que certains propriétaires sont parfois récalcitrants à faire des travaux, car ils savent que ça fera augmenter la valeur de la propriété et la valeur des taxes. Il faut trouver une façon que la Ville et le gouvernement voient comment mieux évaluer ce genre de situation, pour ne pas pénaliser le commerce», ajoute M. Parente.

Son premier commerce: un cauchemar

En attendant, certains commerçants qui se lancent en affaires sont confrontés à des propriétaires qui refusent de faire les travaux nécessaires pour entretenir leur immeuble.

«Après avoir signé le bail, nous étions contents. Tout se passait bien. Et puis, à notre premier printemps, l'eau a commencé à s'infiltrer dans la vitrine. Le propriétaire disait au départ que c'était à nous de réparer la fuite. On a dû contacter nos avocats et trouver une entente hors cour, raconte, sous le couvert de l'anonymat, un jeune entrepreneur anciennement établi sur le boulevard Saint-Laurent. L'année suivante, ça coulait un peu partout dans le magasin. On a choisi de résilier notre bail et retenter notre chance ailleurs, dans une autre rue, même si c'est une opération très coûteuse.»

Pour cet entrepreneur, qui connaît d'autres personnes qui ont été confrontées à la même situation dans le quartier, une Régie du logement commercial permettrait un meilleur encadrement pour ceux qui sont aux prises avec des propriétaires négligents.

«Si, comme à la Régie du logement, tu es en mesure d'ouvrir un cas, ça nous éviterait bien des problèmes et des frais d'avocats. Quand tu possèdes un petit commerce, cet argent que tu dépenses en cour peut parfois courir à ta perte», explique-t-il.