Aux prises avec une masse salariale en explosion depuis dix ans, qui gruge plus de 52% de ses revenus, la Ville de Montréal aura droit à un remède de cheval. L'administration Coderre a annoncé ce matin l'abolition d'un poste sur dix d'ici cinq ans, soit 2700 postes, une économie annuelle de près de 240 millions.

En point de presse à l'hôtel de ville, le maire Denis Coderre estime que ce plan lui permettra de «reprendre le contrôle des ressources humaines de la Ville, freiner la croissance démesurée qu'on a connue au cours des dix dernières années.»

À titre de comparaison, les deux dernières grandes opérations de rationalisation depuis 2006 visaient chaque fois l'abolition d'un millier de postes. Elles ont eu des résultats mitigés, puisque le nombre global d'employés n'a cessé d'augmenter.

Cette fois, pour contrer la tendance, on ne remplacera qu'un poste sur deux laissé vacant, soit par un départ à la retraite «ou autre motif» d'ici 2018, chez tous les groupes à l'exception des policiers et des pompiers. La Ville prévoit que 1589 cols bleus, 843 cols blancs et 471 cadres, notamment, seront admissibles à une retraite sans réduction d'ici 2018.



Révision à la sécurité publique

Même les pompiers et les policiers, les seuls groupes d'employés qui avaient été épargnés par les compressions dans le budget 2014, devront subir une «révision des processus des services de la sécurité publique et une rationalisation du personnel en conséquence», peut-on lire dans un document explicatif remis aux journalistes. On prévoit qu'un millier de pompiers et 876 policiers seront admissibles à une retraite sans pénalité d'ici 2018.

Selon les projections de la Ville, on s'attend à ce que 2150 autres personnes vont quitter pour «d'autres motifs» d'ici 2018.

Ce «plan quinquennal de la main-d'oeuvre 2014-2018» prévoit en outre l'embauche de 100 personnes par année «pour répondre aux priorités de la Ville». On prévoit qu'il s'appliquera autant aux services centraux qu'aux arrondissements. Ceux-ci, de qui relèvent 30% des effectifs, seront toutefois libres de s'y soustraire.

«C'est un projet non seulement ambitieux, mais réaliste et nécessaire pour sortir Montréal de l'impasse financière», estime le maire Coderre. 

Il a tenu à rassurer les employés de la Ville, qu'il a décrits comme «excessivement compétents». «Ces mesures ne sont pas dirigées contre vous, nous ne procédons pas à des coupures sauvages ni à des mises à pied massives. Tout cela va se faire dans le respect des conventions collectives.»

800 millions comptant

À terme, on espère simplement revenir aux effectifs de la Ville de Montréal au moment des fusions, en 2002, qui était de 20 000 employés à temps plein et représentaient alors 42,5% des dépenses. Ils ont graduellement monté pour s'établir à 22 423 en 2013, pour 51,9% du budget, soit une hausse de 9,4%.

L'objectif principal de l'administration Coderre est de hausser les investissements dans les infrastructures, bâtiments et équipements de toutes sortes. Alors que les besoins sont évalués à 2,1 milliards annuellement, on ne prévoit y consacrer que 1,3 milliard. Cet écart annuel de 800 millions, on veut essentiellement le combler graduellement d'ici 2024 en augmentant la part payée comptant des immobilisations, qui passerait de 80 millions cette année à 800 millions.

Cette décision de recourir moins souvent aux emprunts est «une question d'équité intergénérationnelle, pour ne plus pelleter vers l'avant», estime le président du comité exécutif, Pierre Desrochers.

«Un coup de matraque»

Pour le chef de l'opposition, Richard Bergeron, ce plan de rationalisation est un «formidable coup de matraque» qui s'attaque à l'autonomie des arrondissements.

Il en a dénoncé à peu près tous les aspects, à commencer par son effet le plus pernicieux : en combinant abolition de postes et augmentation des chantiers, on ouvre nécessairement la porte à un recours plus grand au secteur privé.

«C'est cela qui nous a conduits à la crise extraordinaire dont nous sortons à peine, a déclaré le chef de Projet Montréal en point de presse cet après-midi. Ce qu'on nous annonce, c'est dix années de bonheur pour le secteur privé. Cette réforme ne nous plaît absolument pas et ne devrait pas plaire aux Montréalais.»

Pour le maire de Rosemont-La-Petite-Patrie, François Croteau, cette annonce du maire Coderre «sent l'improvisation» et est basée sur «une analyse biaisée et incomplète». Il rappelle qu'il n'en a jamais été question à la première table des 19 maires d'arrondissement, en janvier dernier. Il comprend mal comment les arrondissements pourront par ailleurs abolir autant de postes sans toucher aux services. Il donne l'exemple des cols bleus, dont les effectifs minimaux sont prévus en fonction d'un plancher d'emploi inscrit dans la convention collective. «Il n'y a pas de cols bleus aux services centraux, c'est en arrondissement qu'ils se trouvent. Les couper, c'est impossible. Ça démontre l'improvisation, le fait que pour le maire Coderre, la Ville, c'est une seule unité.»

Les arrondissements, prévient-il, ne couperont pas «volontairement» dans leurs effectifs. Il craint cependant que l'administration Coderre ne les y oblige en utilisant les transferts budgétaires.

Richard Bergeron admet qu'il est possible de trouver des économies au sein de l'appareil municipal, mais pas là où l'indique le maire. Selon lui, il y aurait ainsi 563 cadres de trop à la Ville, une économie potentielle de 95 millions par année.

Le salaire des policiers a par ailleurs explosé de 57% depuis 2009, ce qui explique une bonne partie de la hausse de la masse salariale globale à la Ville. «On a 174 policiers de moins qu'en 2009, mais la rémunération globale a augmenté de 51%. Un policier gagne maintenant en moyenne 95 000$ en salaire et 51 000$ en salaire indirect. Ça, personne n'ose le dire.»