Une pilule d'ecstasy avalée dans un rave. Voilà ce qui a allumé l'étincelle de la maladie mentale et fait basculer la vie d'Alain Magloire, un homme aimé et accompli, dont la descente aux enfers s'est tragiquement terminée, lundi, sous les balles de la police. Père de deux fillettes, ancien chercheur en biochimie, intervenant auprès d'enfants handicapés durant près d'une décennie et fils de l'ancien ministre haïtien de la Justice René Magloire, rien ne le prédestinait à un aussi triste destin.

« Tout le monde pourrait témoigner que c'était la personne la plus douce et la plus calme. Même dans la maladie, il était plein de bonne volonté », raconte la soeur de la victime, Johanne Magloire.

« Je ne l'ai jamais vu se battre lorsqu'il était enfant. Je ne l'ai jamais vu se battre avec ses amis, ce n'est pas un gars violent », déclare pour sa part René Magloire, le père du défunt.

M. Magloire a longtemps été procureur de la Ville de Montréal-Nord et deux fois ministre de la Justice d'Haïti, où il vit. Il prévoit rentrer demain au Québec pour organiser les obsèques et retrouver ses proches. Il dit être « très surpris » de savoir que son fils a pu être jugé menaçant par les policiers.

À partir de 17 ans jusqu'à la fin de ses études, Alain Magloire a été moniteur au camp Papillon et intervenant au centre de répit de la Société pour les enfants handicapés du Québec.

Après ses études, il a été embauché comme chercheur à l'Institut national de recherche scientifique et chez PROCREA, où il faisait des recherches sur la fertilité.

Avec ses six pieds six pouces, il ne passait pas inaperçu. « Quand je pense à Alain, je pense à un géant entouré d'enfants en fauteuil roulant. C'était le héros de beaucoup d'entre eux », raconte une amie, Ève Barrette-Marchand.

Personne joviale

«C'était la personne la plus joviale et la plus appréciée de tous les gens que je connaissais. C'était impossible de ne pas l'aimer, il était tout le temps en train de faire des blagues», ajoute Luc Archambault, un ami qui l'a aussi rencontré au camp Papillon.

Alain Magloire a également rencontré sa conjointe alors qu'il travaillait au camp. Il a eu deux fillettes avec son amour de jeunesse. Ils se sont acheté un triplex à Montréal. « C'était une belle histoire d'amour », raconte Ève Barrette-Marchand.

Selon sa soeur et son frère, sa vie a basculé au milieu des années 2000 après qu'il a consommé une substance illicite lors d'une fête.

«Un jour, il est allé dans un party rave. Quelqu'un lui a refilé de l'ecstasy. Probablement de la scrap, et ça lui a endommagé le cerveau. Le lendemain, il m'a appelé en panique, il était paranoïaque et pensait que tous les services de police de la planète couraient après lui», a affirmé Pierre Magloire.

Faire l'expérience de la rue

À partir de ce moment, l'état psychologique d'Alain Magloire s'est détérioré. Il a donné son triplex à la mère de ses enfants et est allé vivre dans une chambre. Lorsqu'il traversait de « bonnes » périodes, il prenait soin de ses filles. Récemment, il semblait avoir pris du mieux.

Toute la famille Magloire a passé Noël ensemble. Il n'y a pas longtemps, il a dit à sa soeur vouloir faire l'expérience de la vie dans la rue. Il a fréquenté quelques ressources en itinérance de la métropole.

À l'Accueil Bonneau, on le surnommait «Allan». Si plusieurs sans-abri disent de lui qu'il était «dans sa bulle», tous l'appréciaient néanmoins. Selon Nicolas Pagot, coordonnateur de l'intervention psychosociale, il n'a jamais été impliqué dans aucun incident ni ne s'est jamais montré violent.

Il y a à peine deux semaines, Alain Magloire a été croqué par un photographe de La Presse dans le cadre d'un reportage sur les visages de l'itinérance à Montréal. Plusieurs proches ont été attristés de l'y reconnaître. « Depuis, je pensais à lui de façon quotidienne », a dit Luc Archambault. « Ça me faisait beaucoup de peine de voir que je n'avais aucun recours pour l'aider. »

-Avec Étienne Côté-Paluck, collaboration spéciale