Surprise générale chez les experts qui étudient le phénomène de la toxicomanie. Le nombre de Montréalais qui s'injectent de la drogue aurait considérablement chuté au cours des 15 dernières années, passant de près de 12 000 en 1996 à environ 4000 en 2010, a appris La Presse.

La plus grande accessibilité aux traitements de substitution à la méthadone, mais aussi la hausse de la popularité du crack pourraient expliquer cette baisse. Paradoxalement, le nombre de seringues distribuées dans l'île de Montréal et le nombre de visites dans les programmes d'aide continuent de croître.

Les résultats proviennent d'une étude menée par des chercheurs de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. L'unique estimation du nombre de consommateurs de drogues injectables dans la métropole remonte à 1996.

Les chercheurs ont présenté les résultats à leurs partenaires qui oeuvrent sur le terrain, lundi soir. Eux aussi sont étonnés par les résultats.

«C'est une bonne surprise, a cependant déclaré le directeur de la santé publique de Montréal, le Dr Richard Massé, en entrevue. Ça veut dire que les actions qui ont été posées ont véritablement eu un impact. En même temps, 4000 personnes qui s'injectent de la drogue sur l'île de Montréal, ça reste un chiffre important. Ce sont des gens qui sont à haut risque de contracter le VIH ou l'hépatite C, deux conditions très dommageables pour leur santé qu'ils peuvent propager à d'autres.»

Les jeunes de la rue sont l'un des groupes où l'on observe une grande diminution de la consommation de drogues injectables. Le taux serait passé de 50% à 25%.

«Pour nous, c'est un gain de santé majeur. Nous avons déjà mesuré que les jeunes de la rue ont des taux de mortalité de 12 à 13 fois supérieurs et que dans la majorité des cas, ils prenaient de la drogue par injection. Ce n'est pas banal», explique le Dr Massé.

Recherche complexe

Afin de recenser le nombre d'utilisateurs de drogues injectables, les chercheurs ont épluché près de 8000 dossiers provenant de différentes sources, dont le service de médecine des toxicomanies du CHUM, le Centre Dollard Cormier-Institut universitaire sur les dépendances et le Centre de recherche et d'aide pour narcomanes.

Des données provenant du système judiciaire et des services d'échanges de seringues ont aussi été prises en considération.

Pour la période allant du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010, 1480 utilisateurs de drogues injectables ont reçu des services de santé. Il faut toutefois considérer que les toxicomanes sont souvent marginaux et qu'ils fonctionnent à l'extérieur des institutions gouvernementales. Le quart d'entre eux sont d'ailleurs des sans-abri.

C'est pourquoi une méthode de calcul complexe, mais scientifiquement éprouvée, a été appliquée. Elle a permis de déterminer qu'il y aurait, en réalité, environ 4000 utilisateurs de drogues injectables à Montréal. En 1996, la même méthode d'extrapolation avait été appliquée.

Plusieurs hypothèses

Plusieurs causes pourraient expliquer la chute spectaculaire du nombre d'usagers de drogues injectables.

La première hypothèse est qu'un plus grand nombre de médecins et de cliniques sont certifiés pour prescrire des traitements de substitution à la méthadone et à la suboxone, deux substances qui permettent de vaincre la dépendance à l'héroïne ou aux opiacés d'ordonnance.

Autre explication: le transfert vers une autre drogue, le crack, cette substance stimulante qui se fume et serait de plus en plus populaire, selon les observateurs.

Par ailleurs, depuis quelques années, des services d'aide en toxicomanie seraient de mieux en mieux organisés à l'extérieur de Montréal. Des toxicomanes auraient peut-être choisi de déménager.

La baisse des utilisateurs ne se traduit toutefois pas par une pression à la baisse sur les services. Le nombre de seringues distribuées à Montréal est passé de 340 000 à 950 000 annuellement.

«Le nombre de visites dans nos programmes communautaires est passé de 48 000 à 60 000», explique la Dre Carole Morissette, responsable de l'équipe de prévention des infections transmises sexuellement et par le sang (ITSS) à l'Agence de la santé de Montréal. «Ce qu'on peut dire alors, c'est que même s'il y a eu une diminution de la consommation de drogue, les programmes rejoignent encore beaucoup de monde et que, bien sûr, il reste encore du travail à faire.»