Certains secteurs montréalais cachent désormais des églises évangéliques et pentecôtistes à presque tous les coins de rue. C'est ce que permet de constater la nouvelle carte d'un géographe des religions, qui a passé trois ans à chercher leurs fidèles dans les autobus, les stations de métro et les rues de la métropole. Bienvenue au pays des églises invisibles.

Une discrète feuille blanche collée dans la vitre, un carton peint à la hâte, une banderole accrochée tant bien que mal sur la façade: il faut ouvrir grand les yeux afin de repérer les églises évangéliques de la métropole. Sur l'avenue Papineau, sur le boulevard Saint-Michel et dans la rue Charland, elles se succèdent pourtant à presque tous les coins de rue.

«Pour les trouver, j'ai abordé les femmes endimanchées ou celles qui marchaient, bible à la main», raconte le géographe des religions Frédéric Dejean, qui a ensuite cartographié ses découvertes aux fins d'une thèse en études urbaines à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS).

«D'une fois à l'autre, je n'étais jamais certain de retrouver la même communauté au même endroit, précise le chercheur. Comme il y a un fort roulement, les affiches s'enlèvent facilement. Ce sont souvent des églises itinérantes, sans domicile fixe, qui ont pu occuper cinq lieux différents en autant d'années d'existence.»

Afin de payer leur loyer, les églises évangéliques logent non seulement dans les mêmes quartiers, mais, très souvent, dans les mêmes immeubles. «Elles se partagent les plages horaires d'une salle ou les étages d'un édifice, constate M. Dejean. Et certaines se disputent parce que les chants d'un groupe perturbent le prêche de l'autre, et vice versa!»

Règle générale, deux églises fondées par la même communauté culturelle éviteront de cohabiter. «Elles préfèrent éviter la concurrence, explique M. Dejean, puisque les pasteurs évangéliques sont en quelque sorte des entrepreneurs religieux.»

«On en a vu faire du porte-à-porte et des études de marché pour savoir de quoi les gens avaient besoin, précise le géographe. Dès les années 50, en banlieue de Los Angeles, les évangéliques ont ouvert une église drive-in où l'on pouvait écouter l'office sans quitter sa voiture.»

Principal constat du chercheur: «Les églises évangéliques continuent de démontrer beaucoup de souplesse. Leur capacité de s'adapter à la culture ambiante est très forte. Elles savent aussi transformer en avantages les caractéristiques des métropoles contemporaines.»

Ces églises ont par exemple été les premières à profiter de l'internet pour diffuser des vidéos des offices et des prêches. «Ainsi, dit M. Dejean, le lieu de culte s'exporte et gagne une forme de visibilité qu'il ne possédait pas auparavant.»

Les églises évangéliques s'installent par ailleurs près des autoroutes, là où l'accès en voiture est facile. À l'image des magasins-entrepôts qui ont détrôné les commerces de quartier, elles visent des clientèles précises, qui viendront de partout pour écouter leur musique ou leurs prêches.

Certaines ont ainsi beaucoup de succès. «Plusieurs prêtres catholiques seraient jaloux, dit M. Dejean. Un pasteur m'a dit avoir amassé 400 000$ en quelques mois pour acheter une nouvelle église, et il était certain d'atteindre le million avant la fin de l'année.»

Même petites, plusieurs églises survivent. Car le fait de loger dans d'anciennes salles de réception ou au-dessus d'un garage est moins grandiose, mais plus économique que d'investir une ancienne église catholique, difficile à chauffer.

«Chez les protestants, l'édifice n'est pas important, mais la religion ne s'est pas effacée pour autant, conclut M. Dejean. Aujourd'hui, le religieux est à chercher ailleurs, dans des lieux totalement inattendus et improbables.»