«Hier j'avais mon lit, ma chambre. Où vais-je coucher ce soir? Je ne sais pas...» Comme plusieurs de ses voisins, Rolland Daigle dit avoir tout perdu dans l'incendie d'origine criminelle qui a ravagé cinq immeubles du quartier Hochelega-Maisonneuve dans la nuit d'hier, y compris le logement où il vivait depuis 23 ans.

Le brasier aurait pris naissance dans un logement appartenant à Mario Brousseau, arrêté en juin dernier et soupçonné d'avoir converti plusieurs immeubles du secteur en bordels et en piqueries.Libéré sous conditions - dont celle de se tenir loin du quartier - en attendant son procès, Brousseau s'était retrouvé dans la ligne de mire des policiers dans le cadre du projet Pépin. L'objectif de la rafle était de nettoyer le quartier d'un réseau de revendeurs de stupéfiants et de prostitution, dont Brousseau est soupçonné d'être la tête dirigeante.

Au terme de l'opération, 13 individus avaient été épinglés. On avait aussi fermé 11 piqueries réparties dans au moins cinq immeubles appartenant à Brousseau. L'une des descentes avait apparemment eu lieu dans le logement qu'il habitait rue Aylwin, selon toute vraisemblance celui où a pris naissance l'incendie d'hier.

Le réseau de Brousseau a été démantelé grâce aux plaintes des citoyens. Mais ce ménage dans le quartier n'a pas empêché la destruction d'une quinzaine de logements de la rue Aylwin, ce qui laisse maintenant plusieurs familles à la rue.

Une odeur de calciné flottait toujours dans l'air hier matin, là où plus de 100 pompiers combattaient le violent incendie quelques heures plus tôt. Les derniers remballaient leurs boyaux, des experts en sinistre s'activaient dans les décombres et quelques sinistrés contemplaient la scène en bordure des cordons policiers. Trois jeunes femmes faisaient la chaîne pour extirper d'un condominium de rares effets épargnés.

Le feu semblait à première vue avoir causé peu de dégâts aux façades des immeubles. Mais à l'arrière, des débris calcinés formaient des monticules. C'est là, dans de vieilles remises en bois construites sur trois étages, que l'incendie aurait été allumé vers 1h.

 

Aucune surprise

Selon nos sources, les remises auraient d'abord été aspergées d'essence. Les flammes, d'une rare intensité selon des témoins, se seraient rapidement propagées aux toits des immeubles et aux logements, ce qui a forcé l'évacuation d'une trentaine de personnes en début de nuit.

Les sinistrés interrogés hier n'étaient pas surpris d'apprendre que l'incendie vraisemblablement criminel avait pris naissance derrière le 1843, rue Alwin, une adresse qui a bien mauvaise réputation dans le secteur. «Le logement a abrité une piquerie durant longtemps. Il y avait toujours des seringues, des prostituées, les gens sonnaient chez nous à toute heure de la nuit», a pesté Yves Lefebvre, le visage long.

La piquerie aurait cessé ses activités après la frappe policière de l'été dernier, mais des punks avaient depuis pris possession du logement, ont dit les voisins. «On appelait régulièrement la police pour porter plainte», a ajouté Yves Lefebvre.

Rolland Daigle se plaignait aussi régulièrement à la police - il l'avait d'ailleurs fait encore la semaine dernière. «J'appelais si souvent que j'avais peur de ne pas être pris au sérieux», a indiqué cet homme, qui a perdu son triplex. M. Daigle ne le cache pas, c'est son bas de laine qui a flambé. «Je pensais vendre dans un an et profiter de la vie, faire des choses que je m'étais toujours privé de faire. Là, je ne sais pas quoi faire, je me retrouve tout nu dans la rue», a soupiré M. Daigle, la voix étranglée par l'émotion.

Yves Lefebvre croit que l'incendie est un règlement de comptes lié aux activités illicites qui se déroulaient jusqu'à tout récemment à l'intérieur du logement ciblé. D'autres ont évoqué l'hypothèse de tensions entre des revendeurs de drogue du secteur, qui tentent de combler le vide provoqué par le démantèlement du réseau de Brousseau.

Pour le maire de l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, Réal Ménard, il semble évident que l'incendie a un lien avec la filière Brousseau. «Ce lieu a été connu pendant des années comme une piquerie et son propriétaire a été identifié comme la tête d'un réseau», a expliqué M. Ménard, qui exhorte la police à faire rapidement la lumière sur l'incendie. «La police a déjà une piste. Je sais avec certitude qu'un individu a été appréhendé et j'ai des raisons de penser qu'il pourrait nous conduire à quelqu'un d'impliqué dans l'incendie», a expliqué le maire. La police n'a pu confirmer cette information.

M. Ménard estime que les policiers du secteur font leur travail et ont déjà porté un dur coup aux trafiquants en fermant 11 piqueries. Selon lui, une dizaine de piqueries seraient encore actives dans le quartier.

La police refuse pour sa part d'avancer la moindre hypothèse puisque l'enquête qui s'amorce vient à peine d'être confiée à la section des incendies criminels.

Photo: Sylvain Ryan, collaboration spéciale

L'incendie a forcé l'évacuation de cinq immeubles résidentiels du quartier Hochelaga-Maisonneuve.