L'auteur de l'attentat à la Grande Mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette, a écopé vendredi d'une peine de prison à vie sans possibilité de libération avant 40 ans, la plus longue peine décernée au Québec depuis l'abolition de la peine de mort. Il aura 67 ans lorsqu'il pourra demander sa libération.

Le juge François Huot de la Cour supérieure conclut que le geste de Bissonnette, qui a abattu six musulmans, était motivé par «une haine viscérale des immigrants musulmans».

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«La date du 29 janvier 2017 demeurera à jamais inscrite en lettres de sang dans l'histoire de cette ville, de cette province, de ce pays», a lancé le juge Huot devant la plus grande salle du palais de justice de Québec, pleine à craquer pour l'occasion.

Plusieurs membres de la communauté musulmane ont quitté la salle en pleurs lors du récit des événements fait par le juge. Les parents de Bissonnette étaient assis à l'avant. Sa mère pleurait.

Le magistrat a lu sa décision de 246 pages pendant près de six heures. Il a rejeté les suggestions de la Couronne et de la défense. Rappelons que les avocats de Bissonnette demandaient une peine à vie sans possibilité de libération avant 25 ans. La Couronne voulait quant à elle s'assurer que le tueur ne puisse être libéré avant 150 ans, à l'âge de 177 ans.

Le juge a rejeté la suggestion de la défense, notamment car il s'agit d'un crime haineux, commis dans un lieu de culte, de façon préméditée et dans une extrême violence. «La communauté musulmane de Québec, la ville de Québec et le pays tout entier conservent des cicatrices de ce geste», a-t-il souligné.

Le juge Huot a aussi rejeté la demande de la Couronne, car excessive. «Une période d'inéligibilité dépassant l'espérance de vie du délinquant risque de jeter le discrédit sur l'administration de la justice», a tranché le juge.

Après avoir énoncé que selon lui, une période d'inadmissibilité de 35 à 42 ans serait juste et appropriée, le magistrat a finalement tranché pour 40 ans. Ce qui ne veut pas dire que Bissonnette pourra sortir de prison après cette période de temps, mais plutôt qu'il pourra formuler cette demande à la Commission des libérations conditionnelles, qui pourra lui dire non, et le garder derrière les barreaux.

Le juge Huot a demandé à Alexandre Bissonnette de se lever, vers 15h30, et s'est adressé directement à lui, lui signalant qu'il s'apprêtait à recevoir une «peine exemplaire».

«De manière à décourager ceux qui, partageant votre vision sectaire, ambitionneraient de suivre vos traces. L'intolérance et le racisme pourrissent notre tissu social. Il est du devoir des tribunaux de les réprimer fermement lorsqu'ils se matérialisent en actes criminels.»

Le magistrat a dit prendre en compte dans le choix de sa peine «le haut degré de préméditation et la planification de l'attentat», le nombre de victimes, la violation d'un lieu de culte et l'«indéfinissable violence» commise à leur égard.

Pour imposer une période d'inadmissibilité de 40 ans, le juge a dérogé aux prescriptions de l'article 74551 du Code criminel. Celui-ci permet le cumul de périodes d'inadmissibilité de 25 ans, de sorte que le juge au dossier peut imposer 25 ans, 50 ou 75 ans, mais rien entre ces chiffres.

Il a déclaré que cet article tel que rédigé viole la Charte canadienne des droits et libertés, dont le droit à la vie et le droit pour un citoyen de ne pas subir de châtiments cruels et inusités.

Il n'a toutefois pas jugé nécessaire de déclarer l'article invalide, mais l'interprète de façon à redonner un véritable pouvoir discrétionnaire au juge qui tente de déterminer la peine juste et appropriée pour chaque délinquant.

Bissonnette, qui a maintenant 29 ans, était entré dans la salle de prière de la mosquée le 29 janvier 2017 et avait ouvert le feu, tuant six hommes et en blessant plusieurs autres.

Arrêté peu après le carnage, l'homme a été accusé de six chefs de meurtre au premier degré et de six chefs de tentative de meurtre.

Il a plaidé coupable en mars 2018 à l'ensemble des chefs d'accusation.

Comme il s'agit de meurtres prémédités, la peine était automatiquement la prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Le juge pouvait toutefois décider d'imposer une plus longue période avant qu'il soit admissible à la libération conditionnelle.

Les victimes de son attaque, tombées sous ses balles, sont Mamadou Tanou Barry, âgé de 42 ans, Abdelkrim Hassane, 41 ans, Khaled Belkacemi, 60 ans, Aboubaker Thabti, 44 ans, Azzeddine Soufiane, 57 ans, et Ibrahima Barry, 39 ans.

Chronologie des événements à la suite de la tuerie au Centre culturel islamique de Québec, en 2017 :

29 janvier 2017 - Un jeune homme entre seul dans le Centre culturel islamique, à Québec, durant la prière du soir et ouvre le feu, tuant six hommes en plus d'en blesser 19 autres. La police arrête deux personnes, mais après enquête, seul Alexandre Bissonnette, qui avait alors 27 ans, demeure suspect. Selon la police, l'autre personne était considérée comme un témoin.

30 janvier 2017 - Le premier ministre Justin Trudeau assiste à une vigile à Québec. Il qualifie le massacre d'acte de terrorisme et dit aux musulmans du pays : « Nous sommes avec vous. Trente-six millions de Canadiens ont aussi le coeur brisé. » Alexandre Bissonnette, un étudiant de l'Université Laval, comparaît et est accusé de six chefs de meurtre au premier degré et de cinq de tentatives de meurtre avec une arme à autorisation restreinte.

1er février 2017 - La mosquée ouvre ses portes au public. Son plancher et ses murs sont toujours tachés de sang.

2 février 2017 - Des milliers de personnes se présentent à l'aréna Maurice-Richard, à Montréal, pour les funérailles de trois des victimes : Abdelkrim Hassane, 41 ans, Khaled Belkacemi, 60 ans, et Aboubaker Thabti, 44 ans.

3 février 2017 - Des milliers de personnes, dont Justin Trudeau, se rendent au Centre des congrès de Québec pour rendre hommage aux trois autres victimes : Mamadou Tanou Barry, 42 ans, Ibrahima Barry, 39 ans, et Azzeddine Soufiane, 57 ans.

5 février 2017 - Des fidèles de la mosquée et des centaines de résidants de Québec participent à une marche pour promouvoir l'unité et la tolérance.

20 avril 2017 - Un membre de la famille de l'une des victimes plaide coupable à une accusation de menaces à l'endroit d'Alexandre Bissonnette. Mohamed-Amine Ben-Faras, 33 ans, neveu d'Azzedine Soufiane, a déclaré au juge qu'il était arrivé à Québec depuis Londres et qu'il s'était rendu à la mosquée pour tenter de comprendre les circonstances ayant entouré la fusillade. Il a reçu l'ordre de quitter le Canada pour trois ans.

2 octobre 2017 - La Couronne obtient la permission de citer directement Alexandre Bissonnette à procès, sans enquête préliminaire. Elle ajoute également une sixième accusation de tentative de meurtre avec une arme à autorisation restreinte. La Couronne explique que la nouvelle accusation inclut les gens, dont quatre enfants, qui se trouvaient à proximité pendant l'attaque. La Couronne annonce également qu'aucune accusation liée au terrorisme ne sera portée.

29 janvier 2018 - Plus de 1000 personnes se rassemblent pour souligner le premier anniversaire de la tuerie.

31 janvier 2018 - Les parents d'Alexandre Bissonnette, Manon Marchand et Raymond Bissonnette, discutent publiquement de leur fils pour la toute première fois dans une lettre transmise à Radio-Canada. Ils y qualifient les gestes de leur fils d'« inexcusables » et de « totalement inexplicables ». Ils continuent d'appuyer leur fils. « Alexandre demeure notre fils que nous aimons et qui fera toujours partie de notre famille. Comme tous les parents, nous avions espoir de le voir réussir et être heureux dans la vie », ont-ils écrit.

26 mars 2018 - Alexandre Bissonnette plaide non coupable aux 12 chefs d'accusation, soit six de meurtre au premier degré et six de tentative de meurtre. Il annonce toutefois en après-midi qu'il souhaite changer son plaidoyer pour celui de culpabilité, mais le juge ne l'accepte pas et demande plutôt une évaluation psychiatrique de l'accusé.

28 mars 2018 - Le juge accepte les plaidoyers de culpabilité. Alexandre Bissonnette lit en cour une déclaration dans laquelle il demande pardon. Des gens éclatent en sanglots dans la salle d'audience.

8 février 2019 - Alexandre Bissonnette reçoit une peine de prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 40 ans. Une peine qui servira à « décourager ceux qui, partageant votre vision sectaire, ambitionneraient de suivre vos traces », a déclaré le juge François Huot, de la Cour supérieure.

- Avec La Presse canadienne