Les crimes ignobles commis par Alexandre Bissonnette en quelques minutes à la grande mosquée de Québec en janvier 2017 sont-ils comparables en gravité à ceux d'un tueur en série qui les commet sur une longue période ?

La question peut sembler théorique. Elle occupe pourtant l'esprit du juge François Huot.

Le magistrat a annoncé mercredi qu'il allait prononcer la peine du meurtrier de la grande mosquée de Québec le 8 février prochain, dans une décision susceptible de marquer l'histoire judiciaire au pays. La Couronne demande 150 ans de prison ferme, alors que la défense demande une peine de prison à vie avec possibilité de libération après 25 ans.

« Si le ministère public demande 150 ans pour M. Bissonnette, qu'allez-vous me demander un jour pour les tueurs en série ou les tueurs à gages ? », a demandé le juge Huot au procureur de la Couronne, Thomas Jacques.

La question de savoir si on peut comparer Bissonnette à un tueur en série avait déjà été soulevée en juin dernier. Ses avocats soutenaient alors que le gouvernement de Stephen Harper avait en tête les tueurs en série en 2011 au moment de changer la loi pour permettre au juge de cumuler des peines dans le cas de meurtres multiples.

Or, selon les avocats de la défense, Bissonnette n'a rien d'un « tueur en série sans remords ». Le condamner à la prison à vie sans possibilité de libération avant 150 ans est inhumain selon eux.

La question a visiblement fait mouche auprès du juge Huot, qui a demandé à la Couronne d'y répondre mercredi.  

« Tout meurtre multiple est odieux, je suis d'accord », a lancé le juge mercredi dans la dernière journée d'audience avant d'énoncer la peine. « Si on décide de se livrer à un exercice de gradation dans l'horreur, considérez-vous que le meurtrier de masse a un état d'esprit comparable à celui du meurtrier en série ? »

Le fait que Bissonnette ait commis six meurtres en l'espace de quelques minutes ne diminue pas la gravité de son geste, a rétorqué Thomas Jacques. Le caractère raciste de son crime est selon lui une circonstance aggravante : « ce qui teinte ce dossier, c'est le caractère haineux, raciste, islamophobe... »

Me Jacques a invité le juge à la prudence « quant au message qui pourrait être envoyé » avec la peine.  

« Alexandre Bissonnette a tué six personnes. À Toronto, un individu est accusé d'en avoir tué dix. Aux États-Unis, c'est horreur après horreur. Les meurtres multiples font partie de l'air du temps », a lancé Thomas Jacques.

« C'est un message douteux à envoyer que celui de dire qu'un individu qui a tué plusieurs personnes en un court laps de temps commet un acte moins grave que celui qui en tue autant sur une plus longue période », a ajouté le procureur de la Couronne.

Un jugement attendu

Le juge Huot devait initialement énoncer la peine le 29 octobre. Mais il a repoussé l'échéance afin de poser des questions de droit aux parties.

Le juge sait très bien que sa décision est susceptible d'être portée en appel. La constitutionnalité du cumul des peines, principe introduit en 2011 par le gouvernement Harper, sera tôt ou tard débattue jusqu'en Cour suprême. Il pourrait bien s'agir du cas Bissonnette.

« J'ai comme l'impression que d'autres collègues pourraient me relire un jour », a lancé le juge avec une pointe d'humour après avoir posé une énième question de droit aux avocats.

Selon l'article 745.51 du code criminel, le juge peut « ordonner que les périodes d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement ».

Avant, la peine maximale pour un meurtre au premier degré était la prison à vie sans possibilité de libération avant 25 ans.

Mais depuis, dans une poignée de décisions, des juges ont cumulé les peines. Pour les meurtres de trois policiers de la Gendarmerie royale du Canada en 2014, Justin Bourque a par exemple écopé de la prison à vie sans possibilité de libération avant 75 ans. Il aura alors 99 ans.

L'avocat de Bissonnette, Charles-Olivier Gosselin, a de nouveau qualifié la loi conservatrice de 2011 de « populisme pénal ». « Clairement, on va trop loin dans ces dispositions. »

Le 29 janvier 2017, Alexandre Bissonnette a fait feu sur des fidèles réunis dans la grande mosquée de Québec. Il a plaidé coupable à six chefs d'accusation de meurtre au premier degré et six autres de tentative de meurtre.