Les amitiés trahies qui prennent fin dans le sang sont monnaie courante dans le milieu criminel. Un tueur devenu délateur en a offert une belle démonstration à des jurés estomaqués, récemment, dans un procès pour meurtre qui se déroule à Montréal. L'homme a raconté comment il a tué l'un de ses amis pour 75 000 $, ainsi que deux autres personnes, pour le compte d'individus impliqués dans le trafic de drogue à Val-d'Or, jusqu'à leur arrestation en octobre 2016. Récit.

LES ACTEURS

Le délateur, dont on ne peut dévoiler le nom en vertu d'un interdit de publication, a été arrêté le 6 octobre 2010, jour de l'opération Écrevisse menée par la Sûreté du Québec. Il a été condamné à la prison à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, pour les meurtres de Kevin Walter, Johnny Coutu et Benoit Denis, commis en 2009 et 2010. Il a témoigné à la fin de l'été et cet automne dans le cadre du procès d'Yves Denis et de Denis Lefebvre, accusés des meurtres de Johnny Coutu et de Benoit Denis, et d'homicide involontaire dans le cas de Walter. Ce procès se poursuit toujours. Avant d'accepter des contrats pour les deux accusés, le délateur a été impliqué dans des vols et des plantations de marijuana. Un jour, un ami l'a mis en contact avec des gens de Val-d'Or, en Abitibi, qui avaient besoin de ses services. Il serait payé 1000 $ comptant par semaine, plus des extras pour des tâches spécifiques à effectuer.

AVERTISSEMENT FUNESTE

En avril 2009, Denis Lefebvre avise le nouveau contractuel qu'un trafiquant de drogue empiète sur le territoire d'un dénommé « Chef ». L'objectif est de lui casser les jambes. Le délateur et Benoit Denis - demi-frère de l'accusé Yves Denis - se rendent chez l'individu, à Rouyn-Noranda. Le délateur tient un fusil de calibre 12 et Benoit Denis, un bâton de baseball. Ils entrent dans l'appartement de la victime au moment où celle-ci parle au téléphone dans son lit. Benoit Denis frappe l'homme à la tête à trois ou quatre reprises pendant que le délateur lui assène des coups de crosse de 12 dans les jambes, si fort qu'elle se fracasse. « C'est de la part d'untel », lance Denis, avant de sortir de la chambre. « Je suis à peu près certain qu'il n'a pas compris ton message », dit le délateur à Denis, à la vue des lacérations au front de la victime, et parce que celle-ci semblait « en convulsions » lorsqu'ils ont quitté les lieux. Kevin Walter - c'est le nom de l'homme, que le délateur apprendra le jour de son arrestation - mourra en effet des suites de ses blessures. Le délateur recevra 5000 $ pour ce contrat.

VENDETTA MORTELLE

Au début de l'été 2009, un des accusés, Yves Denis, dit au témoin repenti qu'il a retrouvé un individu qu'il a déjà tenté de tuer dans le passé « et qui fait du mal à des jeunes de leur organisation ». L'homme, surnommé « le notaire », est Johnny Coutu, qui a déjà été la cible d'un incendie criminel et d'une explosion à la voiture piégée qui lui a laissé des séquelles. Coutu rénove sa maison de Laval et il est souvent devant sa résidence. Un plan est élaboré pour qu'une arme longue soit déposée dans un bois en face de sa maison, pour le tuer à la lunette d'approche. Si cette méthode est adoptée, c'est Benoit Denis qui sera le tireur. Si l'arme choisie est le pistolet, c'est le délateur qui fera le travail. Mais la cible est trop loin et un véhicule bloque la vue de Denis. Le délateur abattra finalement Coutu au pistolet sous les yeux de deux témoins. Il recevra 50 000 $ pour ses services.

DEMI-FRÈRE ENCOMBRANT

Au début de 2010, Benoit Denis, demi-frère de l'accusé Yves Denis, commence à être encombrant pour l'organisation. Consommateur de cocaïne et de crack, il aurait parlé du meurtre de Coutu à sa conjointe et même à des prostituées. « Tout le monde en parle en ville », dit Yves Denis au délateur. Benoit Denis et d'autres auraient même comploté pour attaquer et voler Yves Denis, Denis Lefebvre et un autre individu, Serge Pomerleau. En avril 2010, Yves Denis et Denis Lefebvre rencontrent le délateur dans un parc et lui demandent son prix. « 75 000 $ », répond l'autre. Une semaine à dix jours plus tard, Yves Denis envoie, par personne interposée, au délateur un pistolet, un silencieux et des balles sur lesquels il y a une note : « Pas manquer. Faire le ménage ».

PLAN MACHIAVÉLIQUE

Le délateur dit avoir certaines hésitations à tuer son ami, Benoit Denis. Contrairement aux ordres d'Yves Denis, il met deux autres personnes dans le coup. Le trio fait croire à Benoit Denis qu'ils vont le cacher dans le chalet de la mère de l'un d'eux, dans Lanaudière. Lorsqu'il est seul au chalet avec la victime, le 13 mai 2010, le délateur trouve un prétexte pour l'envoyer sous la douche. Il lui dit qu'ils iront faire du kayak, mais que puisque les combinaisons nautiques ne leur appartiennent pas, ils devront prendre leur douche. Alors que Benoit Denis est sous le jet, le délateur se rend dans la chambre voisine, soulève un oreiller et saisit un pistolet.

« Même jusqu'à ce que j'entende la douche fermer, je ne savais même pas si j'étais capable. Pis quand j'ai entendu la douche fermer, je suis rentré là. C'est comme si c'était plus fort... Qu'est-ce que je pouvais faire ? Je suis arrivé avec le wetsuit. Il a ouvert le rideau, j'ai laissé tomber le wetsuit, puis j'ai tiré, puis il est tombé dans le bain », a-t-il raconté aux jurés. Le délateur et un complice enterreront ensuite le corps à plusieurs dizaines de mètres du chalet.

MAFIA ET GANGS DE RUE

Durant son témoignage, le délateur a raconté avoir travaillé pour un certain Vincenzo Morena, alias « Vince », visiblement lié aux Italiens. Il a dit avoir eu, en 2008, une commande pour enlever un certain Mario Marabella. Le délateur n'a jamais rempli ce contrat, mais Marabella, 40 ans, a tout de même été enlevé en décembre 2008 et n'a jamais été revu depuis. Le délateur a aussi raconté avoir reçu un contrat d'un certain « Big Nick » pour tuer un des frères Paul, membres influents des gangs de rue d'allégeance rouge de Montréal-Nord. Au début de 2010, le délateur a également admis avoir été pressenti pour tuer le chef de clan de la mafia Tony Mucci, mais que le contrat n'a jamais été exécuté, car il devait le faire en compagnie de Benoit Denis et que la situation commençait à mal aller avec ce dernier. 

PAS CHER À L'ÉTAT

Le témoin repenti a commencé à collaborer avec la police quelques heures après son arrestation et il a signé un contrat avec l'État le 29 juillet 2011. On a déjà vu des délateurs coûter plus cher aux contribuables. En gros, pour sa cantine au pénitencier - une réserve d'effets personnels composée principalement de nourriture d'appoint et de produits cosmétiques, autorisée par les Services correctionnels -, le contrat prévoyait que le délateur recevrait une somme de 50 $ par mois, mais celle-ci a été augmentée à 100 $. Il obtient 45 $ de plus pour payer l'épicerie lorsqu'il reçoit de la visite dans les roulottes du pénitencier. Le contrat prévoit également une somme de 3500 $ pour sa formation scolaire, 25 $ par semaine versés à son fils jusqu'à ce que ce dernier ait 18 ans et 300 $ pour divers frais annuels. Le délateur doit également témoigner dans d'autres procès à venir ou en cours. 

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

PHOTO LA PRESSE

Denis Lefebvre

Photo déposée en cour

Endroit où le corps de Benoit Denis a été retrouvé et déterré par les policiers, le 19 novembre 2010