Alcoolisme, violence conjugale, agression et exploitation sexuelle : Jessie Quannaaluk a vécu l'enfer pendant toute sa vie, du Nunavik à Montréal. Une vie « tragique », résume le juge Marc David. C'est donc en raison de son « héritage autochtone » qu'il lui a imposé une peine clémente de cinq ans de prison pour avoir tué son conjoint violent il y a trois ans.

« La vie de Mme Quannaaluk, en tant qu'Inuite, ‟explique" clairement ses actions du 16 février 2015 », soutient le juge dans sa décision du 6 septembre dernier. L'Inuite de 59 ans a plaidé coupable à une accusation d'homicide involontaire en mars dernier à Montréal. Elle a reconnu avoir asséné 14 coups de couteau à son conjoint en utilisant deux couteaux, pendant une nuit de beuverie.

La Couronne réclamait 14 ans de détention, contre 8 ans pour la défense. Or, le juge a exceptionnellement imposé à l'accusée une peine moins sévère que celle suggérée par la défense. Le juge David a ainsi ordonné la libération de Mme Quannaaluk après plus de trois ans de détention, soit l'équivalent d'une peine de cinq ans, un « prix déjà cher à payer ». Une décision contraire aurait contribué à « perpétuer la discrimination raciale envers les criminels autochtones dans notre système de justice », a-t-il justifié.

Les juges sont tenus de considérer les « facteurs systémiques et historiques » dans la détermination de la peine des délinquants autochtones depuis l'arrêt Gladue de la Cour suprême, rendu il y a deux décennies. Selon le juge David, il est « difficile de concevoir un scénario » où cet arrêt serait plus applicable que le cas de Mme Quannaaluk.

« La vie de Mme Quannaaluk est tragique. Elle est tragique, parce qu'en quelques décennies, les Inuits ont vécu et continuent de vivre une crise majeure dans la restructuration de leur société. Il est galvaudé de dire que tout a changé dans leur style de vie, leurs moyens de subsistance et leur tissu social », explique le juge.

Violentée, violée et exploitée

Né dans une tente en peau de phoque en 1959, Jessie Quannaaluk consomme de l'alcool dès l'âge de 12 ans. Elle fréquente une école « fédérale », mais cesse d'y aller à 14 ans pour élever ses frères et soeurs. Ses parents sont alcooliques et la battent régulièrement. Son père et un de ses grands-pères l'agressent sexuellement pendant des années.

Tous ses conjoints, sauf un, la violentent. Son dernier conjoint, la victime Paul Brown, est particulièrement dur. Elle se réveille fréquemment le matin avec des marques de violence, dont elle ne garde aucun souvenir. Paul Brown l'exploite sexuellement en permettant à d'autres hommes d'abuser d'elle. De 2012 à 2015, elle se rend à 53 reprises à un foyer pour femmes autochtones victimes de violence.

« Il va de soi de dire que M. Brown ne méritait pas le sort qui lui a été infligé par l'accusée. Personne ne devrait mourir comme cela. Le crime est sérieux. Cependant, il est indéniable que la victime a causé plusieurs des traumatismes affligés à Mme Quannaaluk. M. Brown la battait, la violait et l'exploitait sexuellement, comme ses parents l'ont fait, comme son grand-père l'a fait, et comme ses conjoints l'ont fait. Il la déshumanisait et Mme Quannaaluk, ce jour-là, a réagi et de façon imprévue et de manière illégale », soutient le juge.

Aucun historique de violence

Le juge rappelle que Jessie Quannaaluk souffre de choc post-traumatique et n'a aucun historique de violence. Il relève également les « profonds regrets » de l'accusée pour son crime et sa motivation à chercher de l'aide pour ses problèmes.

Jessie Quannaaluk est soumise à une probation de trois ans et doit respecter une dizaine de conditions. Elle était défendue par Me Julien Archambault, alors que Me Jasmine Guillaume représentait la Couronne.