Deux entreprises de construction de Tony Accurso ont versé des centaines de milliers de dollars à l'administration Vaillancourt de 2003 à 2009 pour payer la ristourne de 2 % sur les contrats publics truqués à Laval, a affirmé jeudi le collecteur de fonds de l'ex-maire au procès pour fraude, complot et corruption dans les affaires municipales de Tony Accurso.

En sept ans, une vingtaine d'entreprises ont versé à l'ingénieur Roger Desbois entre 2,4 et 2,8 millions de dollars en argent comptant pour l'obtention de contrats « collusionnés » à Laval. Les entreprises de l'accusé, Constructions Louisbourg et Simard-Beaudry, étaient les plus importants contributeurs du groupe, a expliqué au jury l'ingénieur Roger Desbois.

Les entreprises de l'accusé ont ainsi payé « jusqu'à 25 % » du magot remis à l'administration Vaillancourt dans cette période, évalue Roger Desbois. La mémoire toujours vive, l'ingénieur de 80 ans a énuméré les 21 entreprises de construction qui participaient à la collusion, classées par l'ampleur des ristournes versées. Ainsi, les sept principales entreprises ont versé 70 % des ristournes sous sa gouverne, calcule le témoin.

Ingénieur pour la firme de génie-conseil Tecsult, Roger Desbois devient collecteur de fonds pour le maire en 2003 au départ de son collègue Marc Gendron. Le cours de « collecte 101 » n'a « pas été long », plaisante-t-il. C'est le directeur de l'ingénierie de la Ville de Laval, Claude Deguise, qui lui remet régulièrement un document indiquant les contrats faisant l'objet de collusion.

À COUP DE 200 000 $

L'ingénieur conserve dans un coffre-fort les liasses de billets versées par les entrepreneurs qui décrochent un contrat truqué. Quand sa cagnotte atteint au moins 200 000 $, il remet ce magot à Jean Bertrand ou à son successeur Pierre Lambert. Le modus operandi est simple : il sort de 200 000 à 300 000 $ du coffre de sa voiture et le donne à M. Lambert dans un stationnement. Sa dernière livraison se déroule en 2009, lorsque l'UPAC est « dans le portrait ».

En 2008, Roger Desbois remplace temporairement Claude Deguise et accorde à sa guise une poignée de contrats à des entrepreneurs. Lors d'une rencontre, le maire Vaillancourt lui conseille de ne pas donner les contrats aux mêmes entreprises. Il refuse toutefois de prendre le poste à temps plein.

Vers la fin de son mandat, le maire Vaillancourt lui demande de remettre 20 000 $ à Jean Roberge, un ancien dirigeant d'une firme de génie-conseil devenu un acteur-clé du système de collusion à la direction de l'ingénierie de la Ville de Laval. Plus tard, Roger Desbois verse entre 110 000 et 130 000 $ au directeur général adjoint de la Ville de Laval, Me Gaétan Turbide, toujours à la demande du maire Vaillancourt. Le témoignage de Roger Desbois se poursuit ce vendredi matin.

UN EX-DIRIGEANT DE LAVAL DÉCRIT PAR LA COLLUSION

Jeudi matin, Jean Roberge a donné les deux côtés du miroir de la collusion sous l'ère Vaillancourt. « Ayant participé à ce système de 2002 à 2007, que je connaissais très bien, je suis rentré à la Ville [de Laval] et ça s'est perpétué de façon normale », a résumé au jury le technicien en génie civil de 58 ans, qui a monté les échelons jusqu'au poste de directeur général adjoint à la Ville de Laval en 2010.

Grand patron de l'entreprise de génie-conseil Équation Groupe Conseil en 2002, Jean Roberge embarque dans le système de partage de contrats d'ingénierie en rencontrant le maire de Laval Gilles Vaillancourt. Sa firme obtient ensuite plusieurs contrats, principalement lors d'appels d'offres sous invitation qui se révèlent finalement truqués par le directeur du service d'ingénierie de la Ville de Laval Claude Deguise.

« [M. Deguise] me mentionnait : voici, tu as été invité sur tel projet, l'autre invité, voici son nom, appelle-le, tu es le gagnant. Quand j'ai le nom de l'autre concurrent, on se téléphone. Il sait que quand il reçoit un appel de l'autre consultant, il est le perdant. Je lui dis le montant que je mets dans mon enveloppe, et [le sien] va se situer plus haut, 10-15 % au-dessus de ça », explique Jean Roberge.

« Sois bon avec la politique et la politique sera bonne ». Ce credo, Jean Roberge l'a pris au mot. Ainsi, des employés de l'entreprise versaient des contributions politiques de 1000 $ au parti de Gilles Vaillancourt, le PRO des Lavallois. Autre façon de mousser ses affaires : des cadeaux du temps des Fêtes. Ainsi, Jean Roberge a donné environ 3000 $ ou 4000 $ en cartes cadeaux à Claude Deguise à deux reprises entre 2003 et 2006. « C'est lui qui nous appelait pour nous signifier l'information des appels sous invitation. On a jugé qu'il avait certainement une importance », résume-t-il.

Puis, en 2003, Jean Roberge rencontre Me Jean Gauthier, un proche du maire. À la fin d'une rencontre, le témoin remet une enveloppe de 10 000 $ en argent comptant au notaire. « Il ne l'a pas prise en main propre. Il a sorti une chemise dans le tiroir et il y a mis l'enveloppe », raconte le témoin. Les deux hommes ne discutent ni du montant ni de l'enveloppe. Le même manège se répète en 2004-2005 pour un montant moindre de 6000 $ à 8000 $.

Près de l'épuisement professionnel, Jean Roberge quitte la firme de génie-conseil en 2007. Cet automne-là, le directeur général adjoint de la Ville de Laval, Me Gaétan Turbide, lui propose le poste de directeur du service d'ingénierie, en remplacement de Claude Deguise, dont Me Turbide veut se « débarrasser ». Mais comme il n'est pas ingénieur, le « politique » bloque sa nomination et Jean Roberge devient finalement assistant d'un nouveau directeur.

Dans les faits, Jean Roberge reprend le rôle de Claude Deguise dans le système de collusion à la Ville de Laval et appelle le gagnant « désigné » d'un contrat public. À une reprise, le représentant de la firme CIMA, Yves Théberge, lui dit que le « boss » Gilles Vaillancourt l'a désigné gagnant d'un mandat majeur d'un million de dollars en honoraires. Le maire lui confirme l'information d'un signe de tête lors de leur rencontre régulière.

Le système de collusion des contrats d'ingénierie a perduré jusqu'au début de 2010 à la Ville de Laval, selon Jean Roberge, notamment en raison de la « pression médiatique ». « On commence à être sur la sellette », dit-il. Excédé, Jean Roberge rencontre Gilles Vaillancourt et lui dit qu'il n'a plus l'intention de « donner » la liste des soumissionnaires à quiconque. Il refuse même de former qui que ce soit pour le remplacer, malgré la demande du maire.

Le témoin-collaborateur de la poursuite n'a mentionné Tony Accurso qu'à une seule occasion pendant son témoignage. Le dirigeant de Constructions Louisbourg et Simard-Beaudry demande de rencontrer Jean Roberge à son arrivée en poste à la Ville de Laval. « Il m'a questionné sur mon passé, il me connaissait moins. Il m'a beaucoup parlé de ses entreprises, de son développement, il était fier de ses entreprises », raconte le témoin.

Jean Roberge a obtenu une entente d'immunité avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales en échange de son témoignage. Il devait toutefois rembourser 20 000 $ obtenu indûment.

CINQ CHEFS D'ACCUSATION

Tony Accurso, de son vrai nom Antonio Accurso, fait face à cinq chefs d'accusation de complot, de fraude de plus de 5000 $, d'abus de confiance par un fonctionnaire public et d'actes de corruption dans les affaires municipales.

L'homme de 66 ans aurait comploté avec une soixantaine de personnes, dont Gilles Vaillancourt et Claude Deguise pour commettre des actes de corruption dans les affaires municipales et pour commettre des fraudes. Ses crimes se seraient produits entre le 1er janvier 1996 et le 30 septembre 2010 à Laval.

La thèse de la Couronne est que la corruption et la collusion étaient « endémiques » à Laval sous le règne du maire Gilles Vaillancourt, et que Tony Accurso y a participé activement, au détriment des contribuables.

« Nous établirons que cet immense système frauduleux bien rodé auquel a participé directement et indirectement l'accusé Accurso au profit de ses entreprises était dirigé et contrôlé par l'administration municipale de Laval », a affirmé au début du procès le procureur de la Couronne, Me Richard Rougeau, dans son exposé introductif.

Photo tirée d'une vidéo, archives La Presse

Jeudi matin au procès pour fraude, complot et corruption dans les affaires municipales de Tony Accurso, le témoin Jean Roberge (notre photo) a donné les deux côtés du miroir de la collusion sous l'ère Vaillancourt.