Le corps ensanglanté du garçon de 15 ans gît au sol, une plaie béante au thorax. « Tu es un champion, reste avec nous! Pars pas! J'ai besoin de toi!», sanglote sa petite amie, les mains sur sa tête. L'adolescente de 17 ans a fait le récit déchirant de cette soirée funeste mercredi matin, au second jour du procès pour meurtre non prémédité d'un garçon de 17 ans.

Dans la salle de cour de la Chambre de la jeunesse, le père de la victime quitte promptement les lieux, alors que le jury a les yeux rivés sur la vidéo de l'interrogatoire de l'adolescente, quelques heures après le meurtre. Plusieurs membres du public s'essuient les yeux dans la salle.

Le procès devant jury - une rareté en Chambre de la jeunesse - s'est amorcé mardi à Montréal. Selon la théorie de la Couronne, une soirée entre jeunes «sans histoires» âgés de 14 à 16 ans a dérapé le 28 octobre 2016 pendant une fête sur L'Île-des-Soeurs.

« Il n'y a pas d'histoires de drogue, d'alcool, de règlement de compte ou de gang de rue. Ce sont des adolescents qui se sont laissés emporter par leur orgueil, leur agressivité [et] leur impatience», a affirmé mardi la procureure de la Couronne, Me Anne-Claire Perron, dans son exposé introductif.

Le témoignage de l'adolescente de 17 ans - qui avait 15 ans au moment du drame - a commencé par la présentation au jury de son interrogatoire avec les policiers, environ six heures après la mort de son petit ami. L'identité de tous les protagonistes de cette affaire est protégée par la loi.

Quelques heures avant la fête fatidique au centre communautaire Elgar de L'Île-des-Soeurs, l'adolescente passe la journée avec son meilleur ami, l'accusé et un autre ami. Pendant la journée, ce dernier exhibe aux trois amis deux poings américains munis de «grosses lames» et de «piques», ainsi qu'un «couteau de pêche» rétractable.

« Hey, c'est quoi ce couteau? Il m'a dit : 'c'est un couteau de pêche'. Hey, tu penses tuer qui avec ça? Tu vas pas tuer un poisson? Tu vas tuer une personne avec ce couteau ?», lui lance l'adolescente, surprise. Peu de temps avant d'arriver à la fête sur L'Île-des-Soeurs, elle prévient ses amis : «Ne me faites pas honte. Dites pas : 'on va battre quelqu'un, on va piquer, etc.'», explique-t-elle à l'enquêteur.

Un conflit éclate entre un des gars du trio et le portier de la fête. Cette altercation met le feu aux poudres. L'accusé dit à son ami : «Hey, on le stab! On va le battre!», raconte l'adolescente. L'accusé répète même à trois reprises son intention de poignarder le portier, un autre adolescent. La situation s'envenime ensuite entre l'accusé et la fille de 15 ans. L'accusé se met alors à la pousser.

« J'étais fâchée! Je lui dis : 'Tu me touches pas !' [Il a dit :] Qu'est-ce que tu vas faire? Tu vas demander à ton fucking chum laid? Tu penses qu'il va venir me toucher», lance l'accusé à l'adolescente, avant de lui asséner un coup de front au visage. «J'avais vraiment mal, il venait de me frapper», dit-elle à l'enquêteur.

Cet incident survenu à l'extérieur du centre communautaire de L'Île-des-Soeurs sème la colère dans le groupe d'amis du copain de l'adolescente. À partir de ce moment, le récit de l'adolescente devient plus chaotique, alors qu'elle raconte à l'enquêteur ces minutes traumatisantes d'un trait, tout en sanglotant.

« Laisse pas ta femme se faire frapper comme ça !», s'exclame un ami de la victime. Une dizaine de jeunes se mettent à pourchasser l'accusé et ses deux amis jusqu'au parc adjacent. L'adolescente est en retrait, à quelques mètres de distance. Elle entend des cris : « On l'a piqué. On l'a piqué ! » La silhouette de son copain apparaît au sol. Elle n'a pas vu qui l'a poignardé. L'arme du crime, un couteau à cran d'arrêt bleu, a été retrouvée non loin de là, près d'un immeuble.

De retour en salle de cour, en interrogatoire avec la procureure de la Couronne, l'adolescente a donné des détails supplémentaires sur le déroulement des évènements, sans toutefois reprendre son récit de long en large. Elle maintient avoir dit la vérité à l'enquêteur à l'époque.

Ce procès de cinq semaines, présidé par le juge Mario Longpré, se poursuit toute la semaine en Chambre de la jeunesse. Les avocats Tiago Murias et Michelle Robidoux représentent l'accusé.