«On est-tu obligés de parler de ça?», a demandé le témoin, la voix affaiblie, lorsque le procureur de la couronne lui a demandé d'expliquer pourquoi il avait quitté sa compagnie de construction.

Le jury de sept hommes et cinq femmes venait de commencer à entendre la preuve, vendredi, au procès de l'ex-entrepreneur Tony Accurso, accusé de participation à un «vaste système de collusion et de corruption» dans l'octroi des contrats publics à Laval.

Le premier témoin était Gilles Théberge, un ancien directeur chez l'entreprise d'asphaltage Sintra. M. Théberge a témoigné lentement, minutieusement, avec un grand souci du détail, et raconté les débuts de la collusion à Laval, au milieu des années 90.

«On s'était réunis entre nous et on avait partagé les projets», a-t-il expliqué. Les entreprises se coordonnaient pour éviter la concurrence et truquer les appels d'offres publics, mais initialement, la Ville n'y participait pas.

«C'était une petite collusion, minime», a-t-il expliqué. 

Le système a changé après l'arrivée d'un nouveau directeur du génie à la Ville de Laval, Claude De Guise. M. De Guise lui fournissait la liste de tous les entrepreneurs intéressés par un appel d'offre. «Il m'a dit: "Tu sais ce que tu as à faire avec la liste"», a expliqué M. Théberge.

«Là y'en a pas de compétition, je les ai tous tassés!», a-t-il imagé.

Argent, cocktails et homards

Les entrepreneurs favorisés par cet arrangement devaient remettre une ristourne en argent comptant à l'administration du maire Gilles Vaillancourt, correspondant à 2% de la valeur du contrat. Lui-même a raconté avoir versé 40 000 $ en argent d'un coup.

Les employés des firmes de construction participaient aussi à des cocktails pour «les élections du maire» et à des soupers au homard à 250 $ la tête destinés à financer son parti, selon le témoin.

Lorsque le procureur de la couronne, Richard Rougeau, lui a demandé d'expliqué son départ de chez Sintra, en 2000, Gilles Théberge s'est montré troublé et a indiqué clairement qu'il préférait ne pas parler du sujet.

«C'est parce qu'ils ont fait...ils ont fait sauter mon auto», a-t-il dit sommairement, le visage crispé, sans identifier les gens derrière cet acte. M. Théberge avait ensuite quitté son emploi et cessé de travailler. Beaucoup de gens étaient devenus craintifs après cet événement, «à tort ou à raison», a-t-il dit.

M. Théberge est revenu travailler à Laval pour une autre entreprise de construction, Valmont Nadon, en 2002. La collusion et la corruption étaient toujours bien organisées, a-t-il témoigné. Les entrepreneurs pouvaient faire jusqu'à 20% ou 30% de profits dans les projets «collusionnés», alors qu'ils ne faisaient que 4% à 8% de profits dans un système compétitif normal, selon lui.

Corruption «endémique» 

La thèse de la couronne est que la corruption et la collusion étaient «endémiques» à Laval sous le règne du maire Gilles Vaillancourt, et que Tony Accurso y a participé activement, au détriment des contribuables.

«Nous établirons que cet immense système frauduleux bien rodé auquel a participé directement et indirectement l'accusé Accurso au profit de ses entreprises était dirigé et contrôlé par l'administration municipale de Laval», a-t-il ajouté.

La thèse de la poursuite est que la tête dirigeante du système était l'ex-maire Gilles Vaillancourt.