L'auteur de la fusillade à la Grande Mosquée de Québec n'est pas un psychopathe et il serait « éventuellement possible » de le libérer de prison, a témoigné hier un expert de la défense. Mais celui-ci a ajouté du même souffle que toute récidive « pourrait être très grave ».

Les avocats d'Alexandre Bissonnette ont fait entendre hier leurs deux premiers témoins dans le cadre des débats sur la peine. L'assassin risque 150 ans de prison sans possibilité de libération.

Le psychologue Marc-André Lamontagne a passé sept heures en compagnie d'Alexandre Bissonnette les 3 et 6 avril derniers. Il en a tiré un rapport d'une quarantaine de pages qui dresse le portrait d'un jeune homme « narcissique fragile », marqué par l'intimidation dès le primaire, mais qui n'est pas un psychopathe.

Juste avant le témoignage de M. Lamontagne, une enseignante qui a connu Bissonnette en deuxième et quatrième secondaire est venue témoigner en sa faveur. « Alexandre n'était pas le seul à se faire intimider, mais les autres, c'était à des degrés moindres. Alexandre, lui, mangeait de la schnoutte », a raconté Lucie Côté, ancienne prof de français à la retraite qui a raconté le long calvaire que l'élève chétif et mésadapté a enduré.

Cette intimidation a cassé le jeune homme, qui a eu des pensées suicidaires dès l'âge de 16 ans. Le psychologue Lamontagne raconte dans son rapport l'évolution de l'assassin.

« Vers cet âge-là, il s'est intéressé à la tuerie de Columbine. L'idée lui est venue de se venger, il a dressé une liste d'étudiants et de professeurs et a même envisagé mettre le feu à son école », a expliqué l'expert de la défense.

« Après m'être fait écoeurer, au moins une fois dans ma vie, c'est moi qui aurais le gros bout du bâton », lui a expliqué Bissonnette.

IL OBTIENT SES ARMES FACILEMENT

Il n'a finalement pas mis son plan à exécution. Des années plus tard, en 2014, l'idée d'en finir lui est revenue. Même s'il souffrait d'anxiété et avait des pensées suicidaires depuis des années, Bissonnette a réussi à facilement obtenir un permis de port d'arme. Il a simplement menti en remplissant le formulaire, a-t-il avoué au psychologue.

« Quelques jours avant d'obtenir son permis, le 22 octobre 2014, il y a eu la fusillade au parlement d'Ottawa. Il était nerveux que ça lui nuise », a expliqué M. Lamontagne.

Aussi facilement et malgré ses problèmes de santé mentale, il a obtenu en avril 2015 son permis d'arme à feu à autorisation restreinte. Il s'est acheté un pistolet Glock 9 mm - celui-là même avec lequel il a commis ses six meurtres - et dix chargeurs. Il a indiqué au psychologue qu'il y avait « quelque chose d'excitant » lié au pouvoir des armes à feu, quelque chose de « cool ».

En 2015, il devient persuadé qu'il doit se suicider, mais « faire quelque chose avant ». Il a expliqué qu'il se battait contre un démon qui lui disait : « Tu ne peux pas te gaspiller comme ça. Tous ceux qui te faisaient du mal vont continuer à faire le party. »

Le 26 novembre 2016, deux mois avant l'attentat, il prend ses deux pistolets, cinq chargeurs avec chacun dix balles, et se rend dans un centre commercial de Québec. Il se stationne à la Place Laurier et arme un de ses pistolets.

« Il jonglait entre l'idée de se suicider et celle d'aller tuer des gens dans le centre d'achats, a raconté le psychologue. Il a finalement conclu qu'il n'était capable de faire ni l'un ni l'autre et est retourné chez lui. »

EMPATHIE LIMITÉE

C'est après ça qu'il décide de s'en prendre à des musulmans, toujours selon le rapport de l'expert de la défense. Il s'est focalisé « sur une cible que lui jugeait plus acceptable, ce qu'il appelait les terroristes ».

Selon l'expert, Bissonnette ne cadre pas avec le profil du néonazi ou du suprémaciste blanc, même s'il a été influencé « par un mouvement qui craignait les étrangers et l'immigration ».

« Peut-être qu'à cause de son insécurité, le discours de droite lui a plus parlé à lui qu'à d'autres », se demande le psychologue, qui note tout de même que pour « penser qu'il pouvait y avoir des terroristes dans une mosquée, clairement il faut des préjugés ».

Comme plusieurs autres experts qui ont rencontré Bissonnette, Marc-André Lamontagne ne croit pas à ses soi-disant épisodes psychotiques. « Il a reconnu que dans le passé, il avait simulé des symptômes psychotiques. Il disait que c'était pour rendre le passage à l'acte plus acceptable pour ses parents », dit-il.

Le rapport du psychologue ne conclut pas que Bissonnette sera apte à réintégrer la société après 25 ans. Il estime qu'il faudra le réévaluer au fil des ans, mais qu'il existe une possibilité qu'il change.

Pour l'instant, par contre, l'homme de 28 ans présente des risques de récidive, prévient-il. L'attentat pourrait même être perçu par son auteur comme un échec, puisqu'il n'a pas tué assez de gens, que son coup d'éclat n'était pas aussi grandiose qu'il l'eût voulu ou qu'il ne s'est pas suicidé.

« Le moteur de la tuerie est encore présent dans sa vie. C'est l'intimidation dans sa jeunesse. Mais cette intimidation-là et ce qu'elle avait provoqué, je ne suis pas sûr qu'elle soit disparue. Surtout qu'en prison, il continue à être intimidé. » - Marc-André Lamontagne, psychologue

Dans son long entretien avec le tueur, le psychologue a aussi remarqué qu'il démontrait une empathie limitée envers les membres de la communauté musulmane. « Quand on a parlé des impacts, il a beaucoup parlé de sa famille. [...] Il n'a pas nommé spontanément les victimes à ce moment-là, c'est vraiment plus sa famille qui était au centre de ses préoccupations. »

La Couronne doit contre-interroger le psychologue aujourd'hui. La défense entend ensuite présenter d'autres témoins le reste de la semaine.

Photo tirée de Facebook

Une enseignante qui a connu Alexandre Bissonnette en deuxième et quatrième secondaire est venue témoigner en sa faveur. « Alexandre n'était pas le seul à se faire intimider, mais les autres, c'était à des degrés moindres. Alexandre, lui, mangeait de la schnoutte », a raconté Lucie Côté.