Le fisc québécois doit verser 110 000 $ d'indemnités à un contribuable qui évolue dans le monde interlope pour avoir effectué une saisie chez celui-ci en pleine nuit, a tranché un juge de la Cour supérieure du Québec.

Les vérificateurs de l'Agence du revenu du Québec disposent de beaucoup de pouvoir, mais ceux-ci doivent s'en servir avec célérité, a fait valoir le juge Claude Villeneuve de la chambre civile de la Cour supérieure du Québec dans un jugement rendu le 21 février dernier.

« Il faut absolument que les agents de l'ARQ cessent d'agir en pensant que tout leur est permis », écrit le juge Villeneuve.

À la suite d'une perquisition menée par les policiers de Sherbrooke dans les commerces et immeubles de Sylvain Brochu, en juin 2014, les agents du fisc ont tenté de profiter de l'occasion pour mettre la main sur de nombreux documents financiers.

Toutefois, les vérificateurs de l'Agence du revenu du Québec étaient arrivés sur place tard en fin de soirée, bien après la fin de la perquisition. Malgré l'heure tardive, ils avaient exigé sur-le-champ de saisir des documents dans les commerces et dans le lieu de résidence de M. Brochu.

« Ils ont agi de façon abusive et ont commis une faute lourde à l'égard du demandeur », a conclu le juge Villeneuve dans sa décision écrite.

Le magistrat ne remet pas du tout en cause la pertinence de la vérification fiscale, mais plutôt les moyens utilisés. Selon l'analyse des faits, il conclut que plusieurs autres méthodes auraient pu être favorisées.

« Mais la fin ne justifie pas les moyens, écrit le magistrat. L'Agence du Revenu du Québec ne peut, sous le couvert d'une vérification fiscale et sans autorisation judiciaire, intervenir en pleine nuit pour forcer un contribuable à lui fournir, sans délai, les documents qu'elle requiert (...). »

Dans sa poursuite, Sylvain Brochu, qui opère des commerces de prêts sur gages, réclamait 1 150 000 $ à l'agence gouvernementale, dont un million $ en dommages-intérêts punitifs.

Le tribunal a plutôt limité la compensation à 10 000 $ à titre de dommages compensatoires et 100 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, plus les intérêts.

Sylvain Brochu souhaitait aussi que le tribunal lui accorde le droit de récupérer les sommes d'argent saisies par l'ARQ. Les vérificateurs, par l'entremise d'une saisie en mains tierces, avaient mis la main sur 1 277 835,91 $ pour rembourser des cotisations d'impôts impayées.

Le juge Claude Villeneuve a refusé que les biens soient rendus au demandeur puisque ceux-ci ont été perquisitionnés par les policiers et que l'Agence du revenu a simplement suivi la procédure fiscale pour saisir la somme confisquée.

Opération policière

Le mardi 10 juin 2014, le Service de police de Sherbrooke procède à une opération de vérification des commerces de type prêteurs sur gages. L'opération vise à s'assurer du respect des règlements municipaux, notamment concernant la tenue d'un registre des biens.

Les policiers visitent le commerce « Comptant Illimité », rue King Ouest. Ils rencontrent Sylvain Brochu qui collabore bien.

Son attitude change cependant lorsque les policiers mentionnent vouloir visiter un entrepôt de la rue Wellington Nord.

Soupçonnant que M. Brochu pourrait se rendre à l'entrepôt avant l'arrivée des policiers, une agente demande une surveillance des lieux. Peu après le départ des policiers du commerce, les patrouilleurs voient Brochu se diriger en direction de l'entrepôt. Il en ressort avec trois boîtes et une valise en métal.

Il est finalement intercepté par un sergent détective superviseur. Les boîtes et la valise contiennent 962 100 $ (dont 118 billets de 1000 $), 48 000 euros, environ 40 000 $ US et 21,5 livres de bijoux en or d'une valeur de près de 350 000 $. Sylvain Brochu est alors arrêté pour entrave au travail des policiers et pour recel.

Selon le sergent détective Claude-Jean Chénard, il s'agit de la plus grosse saisie d'argent comptant de l'histoire du Service de police de Sherbrooke.

À l'entrepôt, les policiers vont aussi mettre la main sur des armes à feu et des bijoux.

Les policiers communiquent alors le fruit de leurs découvertes aux vérificateurs de l'Agence du revenu du Québec.

Ceux-ci arriveront un peu avant 22h00 et prendront la décision décriée par la cour d'entreprendre la saisie de documents en pleine nuit contre la volonté de Sylvain Brochu. Ils entreront aussi dans son lieu de résidence, sans sa permission, ce qui leur est interdit.

Sylvain Brochu a obtenu une absolution inconditionnelle après avoir plaidé coupable aux accusations d'avoir entravé le travail des policiers et d'avoir été en possession illégale de trois armes à feu.