Richard Labrie est un contrôleur ferroviaire compétent et consciencieux, qui n'avait pas à poser une foule de questions pour s'assurer que le chef de train avait sécurisé adéquatement le convoi avant de le quitter pour la nuit, a plaidé son avocat Guy Poupart, vendredi.

M. Labrie est accusé de négligence criminelle ayant causé la mort de 47 personnes lorsqu'un train a déraillé et explosé à Lac-Mégantic en juillet 2013.

Les deux autres accusés dans cette affaire sont le chef de train Thomas Harding et Jean Demaître qui était directeur de l'exploitation de l'entreprise ferroviaire Montreal Maine and Atlantic (MMA) au Québec.

Ils ont tous trois plaidé non coupables.

Selon la Couronne, si MM. Labrie et Demaître avaient posé des questions pertinentes sur la sécurisation du train la veille du drame, ils se seraient rendus compte qu'il y avait une lacune et ils auraient pu éviter la tragédie. Or, selon les procureurs de la Couronne, ni l'un ni l'autre n'ont jugé bon de vérifier auprès du chef de train Harding - dont c'était la responsabilité - combien de freins à main avaient été enclenchés et si des tests avaient été faits. Et cela, même s'ils avaient été informés qu'un incendie s'était déclenché sur la locomotive de tête, nécessitant une intervention des pompiers.

Me Poupart a plaidé toute la journée de vendredi au palais de justice de Sherbrooke devant le juge Gaétan Dumas, de la Cour supérieure, et le jury de 14 personnes.

Il a résumé les témoignages de plusieurs personnes venues à la barre, qui ont notamment décrit M. Labrie comme un homme compétent, fiable, en qui les autres «gars de train» avaient confiance.

Et c'est justement en raison de cette confiance qu'ils ont les uns envers les autres que M. Labrie n'avait pas à questionner Thomas Harding sur la façon dont il avait sécurisé le train, laissé sans surveillance en haut d'une pente pour la nuit.

Le train a tragiquement dévalé cette côte au petit matin, déraillant et enflammant une partie du centre-ville de Lac-Mégantic, tuant 47 personnes.

La veille, un incendie s'était déclenché sur la locomotive de tête. Les pompiers ont arrêté son moteur, ce qui faisait en sorte que les freins à air n'étaient plus en fonction.

C'est vrai qu'il n'a pas demandé à Harding combien de freins à main avaient été appliqués, a admis en plaidoirie Me Poupart.

«Et c'est vrai qu'il n'avait pas à le faire», a-t-il poursuivi, ajoutant qu'aucune règle ne prévoyait cette obligation, et qu'il n'avait aucune raison de penser que le train n'était pas bien immobilisé.

Pourquoi devait-il douter de Thomas Harding?

«Richard Labrie était en droit de s'attendre à ce que la locomotive soit immobilisée selon les critères, que le moteur marche ou pas», a laissé tomber l'avocat.

Ce faisant, Me Poupart semble rejeter le blâme sur le chef de train, comme l'a fait la veille le procureur de Jean Demaître, pour les mêmes raisons.

L'expert ferroviaire Stephen Callaghan, appelé à témoigner par la Couronne, a déclaré au jury que si un nombre suffisant de freins à main avaient été appliqués - 14 alors que Harding n'en a mis que sept - et s'ils avaient été testés lors de l'immobilisation du train, la tragédie aurait été évitée.

Me Guy Poupart avait débuté son argumentation en tentant de démontrer le rôle limité de son client, faisant notamment valoir que Richard Labrie, en poste à Farnham, n'était pas physiquement à Nantes - là où était stationné le train avant le drame - ni à Lac-Mégantic.

Il était à 200 km de là, a-t-il souligné.

M. Labrie ne pouvait connaître que les informations qui lui étaient communiquées par d'autres, a plaidé l'avocat.

Il n'est pas plus devin qu'un autre, a-t-il illustré.

Puis, également pour démontrer le type de personne qu'est son client, Me Poupart a rappelé que lorsqu'un autre employé est arrivé à Farnham le matin après le déraillement, il a trouvé Richard Labrie défait, qui lui a dit: «Imagine le pire qui puisse arriver, c'est encore pire que ça».

Cet employé l'a décrit comme ayant le visage complètement démoli. Il peinait à le reconnaître. Mais Richard Labrie s'est présenté au travail le soir du 6 juillet, malgré tout.

Est-ce là un homme indolent, insouciant? Ou plutôt un homme catastrophé par les événements, a demandé Me Poupart au jury de 10 hommes et quatre femmes.

Il a aussi rappelé les témoignages de plusieurs personnes intervenues sur les lieux, au moment de l'incendie de la locomotive: aucune d'entre elles ne s'est inquiétée des freins et n'a demandé si le train était bien immobilisé. Une fois le feu éteint, tout le monde est allé se coucher, a lancé Me Poupart pour démontrer que son client n'était pas le seul à avoir fait confiance au chef de train et qu'une telle catastrophe était imprévisible.

«Il n'y a eu chez Richard Labrie aucune omission de quelque nature que ce soit de prendre les mesures voulues pour éviter des blessures corporelles», a conclu son avocat.

«Il ne faudrait pas que la société condamne comme criminel un homme parce qu'il n'a fait que son travail», a-t-il ajouté.

Lundi, ce sera au tour des procureurs de Thomas Harding de présenter leurs arguments en défense. Le juge Dumas prévoit donner ses instructions au jury mercredi matin, après quoi leurs délibérations pourront commencer.