Quelques heures avant de tuer violemment Catherine de Boucherville d'une quinzaine de coups de couteau, Ahmad Nehme était « terrifié » par les menaces lancées par sa femme. C'est parce qu'il était un « obstacle à sa liberté » qu'elle et son amant cherchaient à le tuer, selon Ahmad Nehme, qui a présenté hier une défense de non-responsabilité criminelle.

« Je sentais que c'était la fin de ma vie. Je voulais parler [à ma femme] pour essayer de l'arrêter, mais je ne voulais pas aller à la police pour aggraver la situation. J'avais tellement peur », s'est remémoré Ahmad Nehme. Premier témoin de la défense à son procès pour meurtre prémédité, l'homme de 53 ans a témoigné d'une voix basse et d'un ton neutre. Certaines parties de son témoignage étaient parfois inaudibles.

« Je n'ai jamais fait de mal à personne », s'est-il défendu. Ahmad Nehme n'était pas en mesure de distinguer le bien du mal en raison de ses troubles mentaux au moment de tuer sa femme, a plaidé son avocat, Giuseppe Battista, hier matin. « L'irréparable a été fait le 5 juillet 2012, personne ne dit le contraire. C'est bien Ahmad Nehme qui a causé le décès de Catherine de Boucherville. Mais son état d'esprit au moment des évènements est déterminant », a-t-il affirmé.

Encore aujourd'hui, Ahmad Nehme croit « fortement » que sa femme voulait le tuer en juillet 2012 et qu'elle le trompait avec James, un client de son commerce. « James avait l'intention de me liquider, de prendre mes biens et de se débarrasser de moi pour toujours », a-t-il assuré en contre-interrogatoire.

Quelques semaines avant le meurtre, Ahmad Nehme a remarqué des changements chez sa femme. Lorsqu'il l'a confrontée avec ses soupçons, elle lui a annoncé qu'elle voulait se séparer. « J'étais surpris. Ç'a été dur, mais je l'ai accepté quand même, je n'avais plus confiance en elle », a-t-il dit. Au cours de leur relation de deux décennies, Catherine de Boucherville l'avait déjà trompé à deux reprises avec des hommes en 2001 et en 2006, a-t-il témoigné. Chaque fois, Ahmed Nehme était tombé dans un profond état dépressif.

Dans des circonstances floues, Catherine de Boucherville l'a ensuite menacé. Ahmad Nehme a pris ça très au sérieux. « Je m'inquiétais pour ma vie. Je cherchais quelque chose pour me défendre, je faisais face à une situation dangereuse », a-t-il témoigné. Il a commencé à porter un couteau de chasse pour se « sentir en sécurité ». Quelque temps plus tard, il a eu une altercation avec James devant son commerce. Il a appelé la police, mais n'a pas déposé de plainte. « J'avais peur, il pouvait se venger », a-t-il dit.

La veille du meurtre, Catherine de Boucherville lui a lancé deux phrases lourdes de sens : « Ça peut t'arriver n'importe quand » et « Tu ne sais pas de quoi je suis capable ». Il était terrorisé. Cette nuit-là, il s'est réfugié dans son commerce, mais un homme a tenté d'y entrer. Il s'est caché au fond du magasin. « Je pensais mourir cette nuit-là. J'ai fait mon testament. J'avais le sentiment que James allait me tuer », a-t-il maintenu.

Il est rentré chez lui, terrifié, pour discuter avec sa femme. Ses souvenirs s'assombrissent sur ces minutes fatales. Soudain, il a entendu crier son nom, ouvert les yeux et vu sa femme, ensanglantée. « Elle était en train de tomber, je l'ai prise dans mes bras. Je ne voyais plus rien devant moi », a-t-il dit.

Pendant son témoignage, Ahmad Nehme a dépeint un portrait complètement différent de la vie familiale que celui fait par sa fille, Dania. Celle-ci a raconté au procès avoir vécu « l'enfer » toute son enfance, sous le joug d'un père intimidant et ultra-contrôlant. La jeune femme a soutenu que son père avait menacé de « briser tous les os » de sa mère, deux semaines avant le meurtre.

« Dania est une menteuse, je n'ai pas élevé d'enfant menteur », a tranché Ahmad Nehme, en contre-interrogatoire. Selon lui, sa fille a été « manipulée » pour raconter de tels « mensonges ». « Je ne suis pas comme ça », assure-t-il. Dania n'est peut-être même pas sa véritable fille, a-t-il ajouté.

La médiatisation du procès est lourde de conséquences pour l'accusé. Pour sa sécurité, les agents correctionnels l'ont placé en protection. « Je ne sors presque jamais », s'est-il plaint. Il consomme des antidépresseurs et des antipsychotiques, a-t-on aussi appris hier. Un psychiatre et son médecin traitant viendront témoigner pour la défense, de même que James et son frère Mohamed. Son contre-interrogatoire se poursuit aujourd'hui.