En 21 ans de carrière, le policier Éric Deslauriers avait déjà pointé son arme, mais n'avait jamais tiré sur quelqu'un. Jusqu'à ce jour fatidique du 22 janvier 2014, où il s'est retrouvé dans le stationnement de la polyvalente Augustin-Norbert-Morin, à Sainte-Adèle, face à un jeune homme au volant d'un véhicule rapporté volé. « J'ai eu peur pour ma vie, le véhicule fonçait sur moi, j'ai tiré. »

C'est ce que M. Deslauriers, policier à la SQ, a raconté, lundi, alors qu'il témoignait pour sa défense à son procès, à Saint-Jérôme. L'homme de 45 ans est accusé de l'homicide involontaire du conducteur, David Lacour, qui avait 17 ans. Le jeune a été atteint de deux balles : la première dans le coude gauche, et la seconde dans le cou. Celle-là, tirée d'assez près pour laisser un tatouage de poudre autour de la plaie, ne lui a laissé aucune chance. Il a été déclaré mort peu après son arrivée à l'hôpital.

La Mazda recherchée

Le policier Deslauriers était venu patrouiller dans le stationnement de la polyvalente un peu avant 13 heures, parce qu'une Mazda RX-8 rouge y avait été aperçue le matin. Il s'agissait d'une voiture rapportée volée. Il pensait qu'elle pourrait revenir. De fait, la Mazda est revenue sur les entrefaites. Le policier a lancé un appel d'urgence à des collègues, pour du renfort, disant qu'il avait un « visuel », sur la voiture recherchée. Son ton était calme, comme on a pu l'entendre sur l'enregistrement. Deux collègues ont répondu qu'ils étaient « en direction. »

Le policier a placé sa voiture pour bloquer la sortie du stationnement. Deux passagères sont sorties du véhicule, et se sont dirigées vers l'école. Le policier raconte être descendu de sa voiture la main sur son arme au ceinturon. Ne sachant pas si le suspect était lui-même armé, il a dégainé et mis son arme à 45 degrés, vers le sol pour s'approcher de la Mazda. Il se souvient avoir établi un contact visuel avec le jeune conducteur, à travers le pare-brise de la Mazda.

« Il s'est mis à rincer son moteur à trois ou quatre reprises », a raconté le policier. « Il me regarde, je le perçois comme une menace, il n'a pas de possibilité de fuite. »

Le policier se souvient avoir demandé au conducteur de lever les mains en l'air. Ce que ce dernier a fait, pour les redescendre, après « une seconde », selon le policier. « Je répète mon ordre, il n'écoute pas. Je le redis une troisième fois. Il sort ses mains par la fenêtre. Je m'approche de lui. Je le vois en partie par le pare-brise, et par la fenêtre du conducteur. Je suis à l'avant gauche de la Mazda. Les roues sont tournées en ma direction. Il rentre ses mains et appuie à fond sur l'accélérateur. J'ai eu peur pour ma vie. J'ai tiré. Deux coups consécutifs », a relaté le policier.

La butte de neige

Dans un rugissement de moteur, comme le démontre la vidéo captée par le cellulaire d'une étudiante, la Mazda a frappé le devant du véhicule de police, et une Kia garée à côté, et a fini dans une butte de neige. Le moteur grondait toujours. Le policier Deslauriers dit avoir rengainé son arme et être allé vers la voiture. Il a coupé le moteur, constaté que le conducteur était blessé au cou. Le policier a relaté avoir fait pression sur la plaie, et avoir appelé une ambulance avec sa radio, mais ça ne fonctionnait pas, car il avait oublié d'appuyer sur un bouton pour l'actionner en sortant de la voiture. Un professeur est venu demander s'il avait besoin d'aide, et M. Deslauriers lui a demandé d'appeler une ambulance.

En contre-interrogatoire, la procureure de la Couronne, Julie Laborde, a questionné le policier sur la séquence des gestes qu'il avait posés. Elle a suggéré qu'il s'était accroupi pour tirer le second coup de feu, au travers la fenêtre du conducteur, ce qui le plaçait à côté et non devant la voiture.  

Le policier a répondu que tout s'était passé très vite. « Il fonce vers moi, et je n'ai pas d'autre alternative que de faire feu. » Un témoin a raconté la semaine dernière avoir vu le policier faire un bond de côté pour éviter la voiture. Le policier dit qu'il n'a pas pensé à faire un pas de côté. La preuve montre que le véhicule a dérapé au démarrage.

Le jeune Lacour a été atteint du côté gauche de son corps. Un rapport d'expertise en balistique rapporte que le rétroviseur côté conducteur a été atteint par un projectile, ce qui placerait le policier du côté gauche, de la Mazda, vers l'avant, au premier tir. Le rapport indique qu'au deuxième tir, la bouche du canon se trouvait de 30 à 40 cm du cou de la victime, que la balle a pénétré du haut vers le bas et qu'elle a fini sa course dans l'épaule droite.

Le procès se poursuit mardi, avec un expert en emploi de la force dans le travail policier.