Rarement un procès pour voies de fait aura autant attiré l'attention. La petite salle d'audience de la cour municipale de Montréal était pleine à craquer, mercredi matin, pour le début du procès du prédicateur Adil Charkaoui, accusé de voies de fait et d'agression armée. Même les constables s'étaient préparés à devoir gérer une foule.

M Charkaoui a été impliqué, au printemps 2016, dans une altercation avec un agent de sécurité du cégep Maisonneuve alors qu'il arbitrait une partie de soccer dans un gymnase loué par un groupe de jeunes.

Selon le témoignage offert par l'agent, Édit Joseph, M Charkaoui l'a intimidé, lui a donné des coups d'épaule, l'a agrippé à deux mains par le bras et s'est placé «dans une position de combat», disant à la victime présumée: «tu vas faire quoi si je te lâche pas?». Il lui aurait ensuite donné «deux ou trois» coups avec une porte alors que le gardien tentait de quitter le gymnase.

L'agent a raconté que le jour de l'incident, son patron lui avait demandé de porter, durant sa ronde, une attention particulière au gymnase loué pour s'assurer que le groupe qui s'y trouvait jouait bien au soccer.

Il a affirmé au tribunal avoir fait l'objet d'hostilités de la part des jeunes présents dès qu'il est entré dans la salle. «On m'a accueilli avec un ton agressif. On m'a dit d'une voix forte: "Qu'est-ce que tu fous ici? On n'a pas besoin de toi. On n'a pas besoin de ta sale gueule". Je me sentais intimidé.»

Des membres du groupe lui auraient ensuite lancé un ballon, essayant selon lui de l'atteindre à la tête.

C'est après que Adil Charkaoui aurait traversé la pièce. «Il est entré dans ma bulle. Il m'a dit de foutre le camp. Il m'a bousculé», a témoigné M Joseph, qui est à l'emploi du cégep depuis 2011 et affirme n'avoir jamais été victime d'une agression dans le cadre de son travail avant cet événement.

Les gestes violents auraient eu lieu après la bousculade initiale. Très ébranlé, le plaignant a été mis en congé durant une dizaine de jours à cause de séquelles psychologiques et s'est adressé à un médecin parce qu'il n'arrivait pas à dormir. «J'étais tout seul et ils étaient nombreux», a-t-il raconté.

Ce jour-là, le gardien dit avoir rapidement contacté son patron et les policiers. Ce n'est qu'après l'arrivée des patrouilleurs qu'il a su que son agresseur présumé était Adil Charkaoui, qu'il n'avait pas reconnu.

Bien qu'il ait affirmé au juge avoir eu l'intention de porter plainte dès l'altercation, ce n'est que quelques jours plus tard qu'il l'a officiellement fait, après avoir reçu plusieurs appels de la part d'enquêteurs de police qui se sont déplacés pour recueillir sa déposition, a souligné à gros traits l'avocat de l'accusé, Me Richard Dubé.

Ce dernier a aussi noté que la déposition écrite que M. Joseph a remplie le jour de sa plainte était identique mot pour mot au rapport qu'il a rédigé dans le cadre de ses fonctions le jour de l'agression.

L'avocat a demandé au témoin s'il avait eu accès à son premier rapport lorsqu'il a rempli sa déclaration aux policiers et si les enquêteurs lui avaient suggéré quoi écrire, questions auxquelles M. Joseph a répondu par la négative. «Je me rappelle très bien ce qui s'est passé. Si vous me demandiez de l'écrire aujourd'hui, j'écrirais encore la même chose.»

«C'est extrêmement préoccupant au niveau de l'enquête et de la crédibilité du principal plaignant», a déclaré Adil Charkaoui à sa sortie de la salle d'audience. « Il y a aussi le fait qu'il n'a pas fait de plainte le jour même et ni le lendemain. Il n'a pas fait de plainte mardi non plus», a dit l'accusé.

Est-ce que c'est à cause de sa notoriété qu'il se retrouve devant le tribunal ? « Je crois que les journalistes peuvent estimer ce qui a été fait dans ce dossier. Une partie de soccer où j'accompagne mon fils pour jouer. Un agent de sécurité est venu, les policiers sont venus et ils sont repartis. Il y a eu des déclarations du maire et d'autres personnalités politiques. Par la suite, les policiers ont appelé [le plaignant] à plusieurs reprises, ils ont fini par aller le voir chez lui pour qu'il porte plainte. »

Le procès se poursuit en mars avec la preuve de la défense.