Confronté à un recours collectif qui risque de le mettre sur la paille, le diocèse de Chicoutimi porte plainte auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) contre sa propre compagnie d'assurance.

Le diocèse de Chicoutimi accuse l'Assurance Mutuelle des Fabriques de Québec d'avoir sciemment réduit sa protection spéciale « responsabilité-abus sexuels » pour éviter de verser des millions de dollars aux victimes de Paul-André Harvey, un ancien prêtre qui a agressé des dizaines d'enfants au Saguenay.

« La Mutuelle a agi d'une façon inéquitable envers ses assurés alors qu'elle savait que des poursuites civiles étaient imminentes » contre le diocèse et les 10 fabriques de la région où l'ex-prêtre a exercé son sacerdoce, lit-on dans la plainte envoyée mardi à l'AMF.

Le diocèse de Chicoutimi contracte depuis 21 ans des assurances responsabilité visant spécifiquement à répondre à d'éventuelles réclamations de victimes d'agressions sexuelles commises par ses membres.

Ainsi, quand cette éventualité s'est concrétisée, le diocèse se croyait prêt à y faire face.

Le diocèse avait avisé sa compagnie d'assurance des possibles poursuites civiles à son encontre dès le début de l'enquête policière sur Paul-André Harvey, en 2011.

Après s'être assurée que les autorités cléricales de l'époque ne semblaient pas avoir étouffé le scandale, la Mutuelle avait informé le diocèse qu'elle était prête à indemniser les victimes.

« Sur la foi de ce que nous savons présentement, l'Assurance Mutuelle des Fabriques de Québec prendra faits et cause pour vous au cas où l'une ou l'autre des victimes de Harvey entreprendrait un recours civil en dommages », avait écrit l'avocat de la Mutuelle, Michel Dupont, le 30 novembre 2012.

La protection alors offerte était de 2 millions de dollars par fabrique assurée. Le diocèse s'attendait donc à une somme totale de 20 millions de dollars pour indemniser les victimes que l'abbé Harvey a agressées dans 10 paroisses du Saguenay.

RÈGLES MODIFIÉES

Mais en 2013, la Mutuelle a changé les règles. La protection offerte a dégringolé à 2 millions de dollars par agresseur, peu importe le nombre de victimes et de paroisses dans lesquelles cet agresseur a perpétré ces crimes.

Le diocèse affirme n'avoir jamais été informé que cette réduction s'appliquerait de façon rétroactive aux réclamations des victimes de Paul-André Harvey. Il l'a appris il y a à peine quelques mois.

En 2015, M. Harvey s'est reconnu coupable d'agressions sexuelles sur 39 fillettes. Mais ses victimes sont sans doute beaucoup plus nombreuses : jusqu'ici, 76 personnes se sont inscrites au recours collectif intenté contre le diocèse et les fabriques, qui pourraient devoir verser 14 millions de dollars en indemnités.

« Depuis que la Mutuelle est avisée des réclamations des victimes de Paul-André Harvey, elle ne cesse de réduire les garanties associées à ses produits d'assurance. » - La plainte adressée à l'AMF par le diocèse de Chicoutimi

Le diocèce a aussi intenté un recours devant les tribunaux dans l'espoir de contraindre la Mutuelle à respecter la police en vigueur au moment des dénonciations de 2011.

Bien que la réduction de la couverture s'applique aux huit diocèses de l'est du Québec assurés par la Mutuelle, le diocèse de Chicoutimi estime être spécifiquement visé en raison du recours collectif auquel il fait face - et qui risque maintenant de l'acculer à la faillite.

Le diocèse conteste en outre le fait qu'à partir du 1er janvier prochain, la Mutuelle n'offrira plus la moindre couverture d'assurance pour indemniser les victimes d'agressions sexuelles commises avant 1995. Sachant que les victimes prennent en moyenne 40 ans avant d'être en mesure de dénoncer - et que la plupart des agressions ont eu lieu entre 1960 et 1980 -, cette nouvelle exclusion a pour effet de réduire la protection offerte à presque rien.

« GESTES INÉQUITABLES »

« Les gestes posés par l'Assurance Mutuelle des Fabriques de Québec sont inéquitables envers ses assurés, voire envers les victimes d'agressions sexuelles qui ne pourront être adéquatement indemnisées », lit-on dans la plainte adressée à l'AMF par le diocèse, qui estime que la Mutuelle « ne respecte pas son obligation de suivre de saines pratiques commerciales ».

« Nous voulons que l'AMF utilise ses pouvoirs pour faire cesser la mise en marché d'un produit d'assurance qui ne convient pas aux besoins de ses assurés et des victimes », explique l'avocate du diocèse, Estelle Tremblay.

L'AMF a le pouvoir d'ordonner à une compagnie d'assurance de cesser certaines pratiques. En outre, l'organisme mandaté par le gouvernement du Québec pour encadrer les marchés financiers de la province a le pouvoir d'intenter des procédures devant les tribunaux ou même de suspendre un permis.

Le directeur des relations médias de l'AMF, Sylvain Théberge, a refusé de commenter le dossier, le processus de plaintes étant strictement confidentiel. De son côté, la directrice de la Mutuelle, Danielle Dupont, n'a pas rappelé La Presse.