Quand il a été déclaré coupable par un jury d'un meurtre prémédité commis en 1997, à 17h15 ce samedi, John Boulachanis a automatiquement écopé d'une peine de prison à vie. L'homme de 43 ans n'en a pas fini avec la justice pour autant. L'ex-fugitif doit avoir d'autres procès pour une spectaculaire tentative d'évasion et des entraves à la justice.

Boulachanis devra aussi régler un vieux dossier de possession de 1 kg d'héroïne pour trafic, qui était resté en suspens quand il avait disparu de la circulation, en avril 1998. Il avait profité d'une libération sous caution pour fuir. Cette fuite allait durer 13 ans, comme on le sait maintenant. Outre sa cause de drogue, Boulachanis avait un autre tracas à l'époque : il avait été interrogé deux fois par la police au sujet de la disparition de Robert Tanguay, survenue quelques mois plus tôt, soit en août 1997.

Boulachanis savait bien ce qui était arrivé à Tanguay, puisque c'est lui qui l'avait tué dans une sablière de Rigaud, avec l'aide de deux complices. Les trois hommes avaient ensuite enterré le cadavre dans le trou qu'ils avaient creusé exprès, peu de temps avant. Quand Boulachanis s'est éclipsé, en 1998, le corps n'avait pas encore été découvert. Ce n'est que quatre ans plus tard, en septembre 2001, que les ossements ont été trouvés fortuitement par une famille.

La découverte du cadavre, en 2001, avait mené à l'arrestation d'un des complices, qui a fini par plaider coupable à une accusation réduite d'homicide involontaire. Boulachanis, lui, était recherché pour ce meurtre. Mais il restait introuvable, même s'il trônait sur la liste des 10 criminels les plus recherchés du Québec.

On sait aujourd'hui qu'il a vécu sous différentes identités en Grèce, en Ontario et aux États-Unis. C'est là qu'il a été arrêté en juin 2011, alors qu'il posait son petit Cessna sur une piste d'un aéroport privé de Floride. Il était aussi recherché aux États-Unis, pour une série de fraudes, mais les Américains ont renoncé à le juger et l'ont plutôt extradé afin qu'il soit jugé pour meurtre au Canada. Boulachanis avait consenti à ce transfert.

Une fois ici, il a essayé de se soustraire à la justice, notamment en s'évadant d'un fourgon cellulaire. Il aurait aussi tenté d'intimider et de soudoyer des témoins prévus à son procès.

UN MEURTRE « CRAPULEUX »

Samedi, en imposant la peine, le juge Michael Stober a parlé d'un meurtre « crapuleux » et a dit que la preuve démontrait clairement l'intention et la préméditation.

« Vous avez enlevé la vie d'un jeune homme qui était à l'apogée de sa vie. Vous l'avez enlevé de sa famille, de ses enfants. La preuve montre votre relation avec la femme de la victime. Vous avez tout fait pour vous évader, vous avez essayé d'intimider des témoins et suborner un témoin pour qu'il vienne mentir à la cour. » - Le juge Michael Stober

Le magistrat a lu une lettre du père de la victime, Rock Tanguay, qui est malheureusement mort avant le procès. Il avait cependant témoigné à l'enquête préliminaire. Le vieil homme relatait les impacts de ce crime sur lui et le reste de la famille.

« Le décès [par homicide] de mon fils Robert fut un drame terrible qui a modifié complètement nos façons de vivre... Nous appréhendions dès le début le drame qu'on s'efforçait de nous cacher. Quelques jours après une lettre non signée nous relatait les principaux faits et personnages du terrible drame dans lequel se terminait la vie de notre fils... Les quatre années qui ont suivi, aucune information ou explication ne pouvait nous être donnée... Les nuits blanches et les larmes, nous les avons connues... », disait la lettre.

Il est à noter qu'un autre complice a été arrêté en 2011 ; il a plaidé coupable à une accusation réduite de meurtre non prémédité. Les deux complices ont témoigné au procès de Boulachanis et l'ont présenté comme le maître d'oeuvre du meurtre. Les trois, ainsi que la victime, formaient un réseau de vol d'autos. Boulachanis, qui avait une liaison avec la femme de Tanguay, craignait apparemment que ce dernier aille dénoncer leurs combines de vol d'autos à la police.

REGARD SUR LE PROCÈS

En raison des risques de fuite et des comportements de John Boulachanis, son procès s'est tenu au Centre de services judiciaires Gouin, un endroit ultrasécurisé conçu pour des procès à plusieurs accusés détenus et relié à la prison de Bordeaux. Le procès a commencé le mercredi 14 septembre avec le choix du jury, puis les jurés ont été renvoyés chez eux pour les trois semaines suivantes. Pendant cette pause, le juge Stober a entendu une requête en arrêt du processus judiciaire présentée par la défense, ce qui a pris deux semaines. Il s'agit d'une requête de type Jordan, sur les délais déraisonnables pour être jugé.

Le 6 octobre, le juge a rejeté la requête oralement, disant que les motifs allaient suivre plus tard. Le même jour, la Couronne a commencé à présenter sa preuve au jury. Les procureurs de la Couronne Joey Dubois et Pierre-Olivier Gagnon ont présenté 25 témoins dans le cadre de ce procès, dont au moins sept détenus et ex-détenus.

SUSPENSE 

Me Marc Labelle et Me Kim Hogan ont gardé le suspense jusqu'à la fin. Allaient-ils, oui ou non, présenter une défense pour leur client ? Le 24 novembre au matin, c'était le grand jour, car la Couronne allait déclarer sa preuve close et ce serait au tour de la défense de se prononcer. John Boulachanis semblait très nerveux et marchait de long en large dans le grand box des accusés, avant que le juge arrive. Ce qui a donné l'impression qu'il allait témoigner pour sa défense. Les agents des services correctionnels semblaient sur le qui-vive.

Quand le juge est entré, à 10 h 10, l'accusé s'est assis. Un peu plus tard dans la matinée, Me Labelle a abattu ses cartes : « pas de défense », a-t-il annoncé.

Le procès de John Boulachanis a donc duré du 14 septembre au 17 décembre, mais il y a eu plusieurs journées et demi-journées de relâche. Le juge Stober était généreux en délais, c'est même lui qui en proposait. Par ailleurs, deux jours et demi ont été annulés pour cause de maladie d'un juré (un jour), de Boulachanis (un jour) et d'un témoin (une demi-journée parce qu'il n'avait pas ses médicaments).

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Le procès en chiffres

• 68: Nombre de jours ouvrables pendant le procès

• 39 et demi: Nombre de jours de procès avec ou sans jury

• 27: Nombre de jours pendant lesquels le jury était présent