En se hissant seins nus sur un bolide de course, la Femen montréalaise Neda Topaloski savait qu'elle allait devoir résister à l'intervention des agents de sécurité en opposant une certaine force. C'est cette résistance qui a fait dégénérer leur intervention et qui, ultimement, a mené à des accusations de méfaits et de tapage contre l'activiste, plaide la couronne.

«Madame la juge, c'est un événement qui a dégénéré. On vous demande de poser la limite», a résumé l'avocate de la couronne, Me Gabrielle Delisle, au deuxième jour du procès contre Neda Topaloski.

Première Femen à être poursuivie au Canada et possiblement en Occident, Mme Topaloski s'était fait arrêter le 4 juin 2015 lors de l'événement Pit Stop Challenge, tenu sur la rue Cresent en marge du Grand Prix de Formule 1. Elle s'était alors dénudé la poitrine et mise à crier «Montréal n'est pas un bordel» en grimpant sur un bolide de course de marque Alfa Romeo. Un miroir et un capot de fibre de verre ont été brisés sur la voiture lors de l'événement, provoquant des dégâts évalués à près de 2500 $.

Les policiers ont affirmé dans leur rapport que Mme Topaloski s'est frotté la vulve sur un poteau, mimant la masturbation, pendant que les agents de sécurité tentaient de l'expulser du site. Ces affirmations, vivement contestées par Mme Topaloski et incohérentes avec les images vidéo déposées en preuve, lui avaient valu des accusations d'exhibitionnisme et d'action indécente, mais celles-ci sont tombées avant même le début du procès.

La professeure de littérature à l'UQAM Martine Delvaux, qui s'est intéressée de près au mouvement Femen, est d'ailleurs venue expliquer au tribunal que la symbolique utilisée par les Femen n'a rien d'érotique. «Il y a un sens de performance artistique dans ce qu'elles font. Contrairement à un strip-tease, qui se fait en silence, les Femen crient. Leur corps est un corps-pamphlet, un corps qui hurle», a-t-elle expliqué devant la juge Guylaine Lavigne. Le fait qu'elles écrivent des slogans à l'encre noire sur leur poitrine renforcit l'idée qu'elles n'utilisent pas leur corps à des fins érotiques, mais plutôt à des fins politiques.

Rien n'est laissé au hasard

Dans son témoignage, Neda Topaloski a d'ailleurs insisté sur le fait qu'elle a longuement préparé son action du Grand Prix en regardant plusieurs photos sur internet montrant des femmes assises sur des voitures sport. Son but était de tourner en dérision les images largement diffusées de «femmes-objet» associées au sport. 

L'activiste a aussi reconnu avoir participé cette année à un camp d'entraînement des Femen, où les formatrices leur apprennent «à tenir, à rester là, à rester droite, confiante, le corps raide, sans montrer de signe de fatigue», a-t-elle expliqué. «On nous apprend à crier de façon posée, en évitant d'avoir une voix trop aiguë», a ajouté Mme Topaloski.  

Dans sa recherche en vue de son action sur la rue Crescent, elle dit avoir aussi panifié comment elle se hisserait sur le véhicule afin d'éviter de l'endommager. Une preuve, selon son avocate Véronique Robert, que Mme Topaloski n'a pas agit d'une façon «intentionnelle ou insouciante» qui aurait justifié une condamnation pour méfaits. L'avocate prétend aussi que c'est le directeur technique du Pit Stop Challenge, Louis Bordeleau, qui a brisé le miroir de la voiture avec sa hanche en tentant de maîtriser la manifestante. «Et si elle (Mme Topaloski) a endommagé le miroir, c'est un accident», a plaidé Me Robert.  

Quant à l'accusation de tapage, la Défense la rejette en affirmant que les spectateurs qui ont assisté à la scène étaient pour la plupart amusés. «On le voit dans les images vidéo. Les gens sourient», a insisté l'avocate.  

Pour la couronne, la question n'est cependant pas là. La poursuite ne conteste pas le fait que Mme Topaloski ait voulu exprimer une opinion politique légitime en faisant son coup d'éclat en marge du Grand Prix. «Mme Topaloski avait l'intention de créer une entrave pendant le Grand Prix. Elle savait qu'on allait l'escorter. Elle savait qu'elle allait résister, mais elle ne s'en est pas souciée», a plaidé l'avocate de la couronne, Me Delisle.

La juge rendra sa décision dans cette affaire le 15 février prochain. Elle est aussi appelée à se prononcer sur une demande d'arrêt des procédures justifiée, selon la défense, par la brutalité de l'arrestation de Mme Topaloski par des agents de sécurité privés.