Une locataire expulsée écope de six mois à purger dans la collectivité pour avoir mis le feu à son appartement.

Sachant qu'elle allait être expulsée de chez elle dans la journée à la suite d'une décision de la Régie du logement, Karine Ulrich a mis le feu dans son appartement du Plateau Mont-Royal pour se donner la mort, le matin du 4 mars 2014. Il n'était pas encore 6 h, et la plupart des voisins dormaient.

Sauvée in extremis par les pompiers, la femme de 40 ans a été condamnée à une peine de six mois moins un jour à purger dans la collectivité, le mois dernier, après avoir plaidé coupable à une accusation réduite d'incendie par « négligence ». Au départ, elle était accusée du crime plus grave d'avoir causé un « incendie criminel », passible d'une peine à perpétuité. 

La nuance est importante, car une peine plus lourde aurait pu mettre en péril son statut au Canada. Originaire de France, Mme Ulrich a un statut de résidente permanente, qu'elle a obtenu en 2009, deux ans après être arrivée au Canada.

Les pompiers ont été alertés à 5 h 50 ce fameux matin de mars et se sont présentés devant un immeuble de logements de l'avenue Christophe-Colomb. Ils ont défoncé la porte verrouillée de l'appartement au 3e étage, et trouvé Mme Ulrich inconsciente sur son lit. Elle avait allumé neuf foyers d'incendie chez elle. Entre autres, elle avait placé deux coussins imbibés d'essence sous son lit.

Les autres locataires ont été évacués, mais l'incendie a été circonscrit à ce seul logement. Seule Mme Ulrich a été blessée, en raison notamment de l'inhalation de fumée. Mais il y a tout de même eu pour plus de 60 000 $ de dommages.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Au début du mois dernier, un incendie s’est déclaré dans l’immeuble de l’avenue Christophe-Colomb où Karine Ullrich avait allumé un feu en mars 2014. Cette fois, l’importance des dommages a forcé l’évacuation de tous les locataires et l’immeuble est condamné jusqu’à ce que les travaux soient réalisés.

Mme Giroux est propriétaire depuis 18 ans de deux immeubles de logements dans le Plateau. Elle est restée marquée par les déboires vécus avec Mme Ulrich. « Je ne veux pas que ça arrive à quelqu'un d'autre », a-t-elle souvent répété en pleurant quand elle a témoigné lors des observations sur la peine.

ÉDUQUÉE ET CONSCIENTE

Mme Ulrich n'a pas témoigné. Elle a été présentée par son avocate comme une femme très éduquée, avec un bac et une maîtrise en psychologie, et des compétences en communications. Un rapport établi à son sujet signale que la femme a occupé des emplois, mais qu'elle vivait de la sécurité du revenu depuis 2013.

Me Johanne Delfausse a fait valoir que sa cliente avait vécu différents événements avant le 4 mars, qui ont contribué à son état de détresse. « Elle a été victime d'un autre propriétaire. Elle a perdu son emploi, était incapable de payer son loyer... », a énuméré l'avocate.

Elle a aussi beaucoup insisté sur le fait que Mme Ulrich avait eu plusieurs rendez-vous auprès de différents spécialistes du système de santé depuis deux ans et que ce n'était pas fini. Elle aurait notamment des problèmes aux poumons et aux cordes vocales en raison de l'incendie. Elle a aussi fait des thérapies. Me Delfausse a loué le parcours thérapeutique de Mme Ulrich et les progrès accomplis depuis deux ans.

Me Delfausse proposait une absolution conditionnelle, pour éviter qu'un dossier criminel vienne nuire à l'avenir de sa cliente et touche son statut au Canada. Mme Ulrich ne veut pas repartir en France, où se trouve sa famille, puisqu'elle s'en était volontairement éloignée. Malgré tout, Me Delfausse a indiqué que la famille de Mme Ulrich offre un très bon soutien.

D'ailleurs, quand il a reçu une lettre d'adieu et les dernières volontés de Mme Ulrich, son frère a appelé au Québec pour prévenir la police. Des policiers du SPVM se sont rendus chez Mme Ulrich le 3 mars. Mais celle-ci a soutenu qu'elle avait simplement envoyé des choses à sa famille en prévision de son expulsion, le lendemain, et qu'il n'y avait pas d'inquiétude à avoir.

Il est établi qu'au moment où elle a mis le feu, Mme Ulrich était consciente du danger pour autrui. Elle aurait vérifié le fonctionnement de détecteurs de fumée. Elle comptait aussi sur la proximité de la caserne de pompiers pour épargner les autres.

Elle ne représente plus un danger pour elle ou autrui, a signalé son avocate, en se basant sur un rapport. Me Delfausse a fait valoir qu'une peine de plus de six mois entraînerait l'expulsion de sa cliente.

De son côté, bien qu'elle ait consenti à réduire l'accusation, la procureure de la Couronne, Sylvie Dulude, a signalé que le geste de Mme Ulrich aurait pu avoir des conséquences catastrophiques pour les autres, et que la propriétaire Giroux en a souffert psychologiquement et financièrement. Le crime d'incendie comporte en lui-même des facteurs aggravants, a-t-elle rappelé. Me Dulude a suggéré une peine de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité.

ABSOLUTION ÉCARTÉE

La juge Myriam Lachance a écarté l'absolution. Un rapport psychologique signale que Mme Ulrich a des « insatisfactions fréquentes face à autrui, qu'elle se perçoit en victime dans plusieurs situations, et que des aspects narcissiques et limites » sont identifiés. Aussi, elle n'a qu'une « autocritique partielle du rôle qu'elle a pu jouer dans ses difficultés ».

La juge n'a pas trouvé beaucoup de remord chez Mme Ulrich dans la preuve soumise. Au contraire, elle voyait encore la propriétaire comme « une cause à ses soucis ».

Tenant compte des efforts de réhabilitation de Mme Ulrich, de son éducation, de son statut au Canada, de son plaidoyer et de l'absence d'antécédent judiciaire, la juge a imposé une peine de six mois moins un jour de prison à purger dans la collectivité et 100 heures de travaux communautaires. La femme, qui vit actuellement dans un appartement supervisé, sera sous probation pendant trois ans.

Deuxième incendie

En ce qui concerne la propriétaire, Mme Giroux, le malheur s'est de nouveau abattu sur elle, récemment. Vers 7 h le dimanche 3 avril dernier, un incendie s'est de nouveau déclaré dans son immeuble de l'avenue Christophe-Colomb, ce qui a nécessité l'intervention de 80 pompiers. Il n'y a pas eu de blessés, mais cette fois, les dommages sont beaucoup plus importants et tous les locataires ont été évacués. L'immeuble est condamné d'ici à ce que les travaux soient réalisés. Josée Gosselin, du Service de sécurité incendie de Montréal, a indiqué à La Presse qu'il s'agissait d'un feu accidentel chez un locataire, en raison d'un article de fumeur dans un divan.