Mike Duffy a dit avoir été contraint de rembourser le Sénat contre son gré par le premier ministre Stephen Harper lui-même, même si ce dernier ne croyait pas qu'il avait violé les règles, lors de la sixième journée de son témoignage au palais de justice d'Ottawa mardi.

«Je ne suis pas un tricheur. Je ne suis pas un voleur. Je ne viole pas les règles. Et je n'allais pas adopter ce genre de processus. Je les implorais de faire preuve d'un peu de décence - tous ces Born Again Christians me jetaient aux lions!» a-t-il lancé durant l'interrogatoire de son avocat, Donald Bayne. 

Le procès de M. Duffy pour fraude, abus de confiance et corruption d'un fonctionnaire est entré dans la phase critique du remboursement des frais de subsistance au Sénat en fin de journée lundi. Le sénateur affirme qu'il s'est toujours opposé à ce remboursement, puisqu'il jugeait ne rien avoir à se reprocher.

Il accuse l'entourage du premier ministre d'avoir concocté un scénario pour chasser la crise politique qui s'accentuait à l'hiver 2013, sans égard à la vérité ou aux dommages qu'un tel remboursement pourrait causer à sa réputation. 

Les médias et les partis de l'opposition multipliaient à l'époque les questions à l'égard de réclamations de frais de séjour et de subsistance par M. Duffy lorsqu'il se trouvait à Ottawa, puisqu'il vivait dans la capitale depuis les années 1970. 

Le scénario envisagé supposait que M. Duffy reconnaisse son erreur et annonce qu'il rembourserait le Sénat pour les montants réclamés par erreur.

Or, le sénateur affirme au contraire qu'il a fait de son chalet de l'Île-du-Prince-Édouard sa résidence principale lors de sa nomination en 2008 et qu'il suivait les règles en réclamant ces frais de séjour et de subsistance. Il a même déclaré sous serment qu'il avait été incité à le faire par l'un des sénateurs conservateurs les plus influents au Sénat à l'époque, David Tkachuk, pour valider la thèse selon laquelle il était bel et bien un sénateur de la province.

Voyant ce scénario prendre forme malgré tout, M. Duffy a tenté de plaider sa cause auprès du premier ministre Harper en personne le 13 février 2013, après le caucus du Parti conservateur, a-t-il déclaré lors de son témoignage.

«Je sais que ça paraît injuste Duff, je sais que tu n'as pas violé les règles, mais les règles sont inexplicables à notre base. Et dès lors tu devras rembourser cet argent. Nigel organisera le tout», lui aurait répondu M. Harper, selon ce témoignage.

Cette conversation en suivait une autre «au ton glacial» avec Nigel Wright, le chef de cabinet du premier ministre à l'époque, qui lui avait aussi ordonné de reconnaître son erreur et de rembourser les contribuables.

«J'étais abasourdi, a relaté M. Duffy au sujet de sa discussion avec le premier ministre. Je ne pouvais pas le croire. Je me suis dit : Comment quelqu'un peut être aussi déloyal envers quelqu'un qui a été aussi loyal avec lui?»

Il a expliqué qu'il espérait que la «conscience» du premier ministre lui ferait changer d'idée. Mais il a plutôt décrit la suite des événements comme une succession de manoeuvres et de menaces de Nigel Wright et d'autres proches du premier ministre destinées à lui faire accepter ce scénario, ce qu'il a finalement fait, un geste qu'il qualifie de «capitulation».

«Partout où je me tournais, je voyais des gens qui me trahissaient, qui coulaient des informations aux médias qui n'étaient pas vraies... J'étais seul», a-t-il dit.

Il a précisé que sa crainte était de perdre son éligibilité à siéger au Sénat et d'ainsi se retrouver sans emploi, sans réputation et sans le sou. « J'ai cru qu'ils étaient entièrement capables de le faire, a-t-il dit. Ils n'en avaient peut-être pas le pouvoir. Mais pouvez-vous imaginer d'essayer de vous battre contre une manchette du Ottawa Citizen qui dit: "Le sénateur Duffy n'est pas qualifié pour siéger au Sénat" ? Et je suis dans un trou à essayer de m'en sortir en disant que ce n'est pas ce que dit la Constitution? J'étais battu, j'étais sur le dos. »

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Mike Duffy et Stephen Harper, en 2012.