Un enfant transformé en «martyr», «exécuté», «sacrifié par l'accusé».

La voix étranglée par l'émotion, le juge Louis A. Legault ne mâchait pas ses mots pour décrire le sort que Francis Bastien a réservé à son fils de 4 ans, Jérémy, au moment de condamner le père à près de quatre ans de prison - 46 mois -, hier, au palais de justice de Montréal.

Le magistrat a insisté à de nombreuses reprises sur le fait que Bastien avait abandonné le bambin à une conjointe «incompétente» et «violente» en sachant très bien que cette dernière risquait un jour de tuer son fils.

Le 6 décembre 2008, ce jour est arrivé.

Le juge a même pris soin de regarder l'accusé de 32 ans dans les yeux pour être certain que son message passe. Assis dans le box, menottes au poing, Bastien a soutenu son regard sans jamais broncher.

Initialement inculpé de l'homicide involontaire de son fils Jérémy, le père a plaidé coupable à des accusations de négligence criminelle ayant causé la mort, de voies de fait armées et de voies de fait causant des lésions corporelles.

En décembre 2008, cela faisait à peine un mois que Bastien avait emménagé avec sa nouvelle conjointe, Stéphanie Meunier, ainsi que les quatre enfants que celle-ci avait eus d'une autre union.

La jeune femme encourageait Bastien à corriger son fils et même à l'humilier en l'habillant en fille. Le père a reconnu avoir battu son garçon une vingtaine de fois à l'aide d'une ceinture, d'une cuillère et à mains nues.

À sa gardienne, l'enfant a dit s'appeler «fucking bitch», ce qui donne une idée de l'ambiance qui régnait à la maison. Le jour où le petit est mort, Bastien était absent. Il avait quitté la maison pour plusieurs jours afin de participer à une étude clinique.

Le 6 décembre, le bambin «transformé en martyr» a reçu le coup de grâce, un coup à la tête qui a causé une hémorragie. Depuis, Meunier a été trouvé coupable de meurtre et purge une peine de prison à vie.

Lorsque le juge a rappelé tous les sévices infligés au bambin, on aurait pu entendre une mouche voler dans la salle d'audience. «Tout a été fait pour punir l'enfant, l'humilier», a insisté le magistrat.

«L'accusé a manqué à ses obligations de père» alors qu'il ne pouvait ignorer à quel point cette femme était dangereuse, a martelé le juge avant de poursuivre en disant que dans le règne animal, même la bête la plus stupide a le réflexe de protéger ses enfants du danger.

«L'accusé a plutôt fait la sourde oreille», a laissé tomber le magistrat, manifestement ébranlé.

Bien que le juge ait décrit brièvement l'enfance de l'accusé marquée par la violence de son père et le décès de ses parents alors qu'il n'avait que 11 ans, le magistrat semble n'avoir retenu aucun facteur atténuant dans cette affaire.

Aux yeux du juge Legault, Bastien a été un père «indigne», «méchant» et «violent». «On a volé à cet enfant le droit de vivre et de se développer [...]. C'est aussi toute la société qui est heurtée de plein fouet», lui a lancé le magistrat.

En terminant la lecture de sa décision, le juge Legault a regardé une dernière fois en direction de Bastien: «L'accusé a plus qu'un deuil à faire, il a de nombreux problèmes à régler.»

Bastien a été décrit par les experts chargés de l'évaluer comme un être «dépendant affectif», «fragile», «servile», «soumis» et «insécure» qui s'est abandonné aux volontés de sa nouvelle conjointe.

À sa sortie de la salle d'audience, la mère du petit Jérémy, Julie Perron, était en larmes. «Je suis mitigée. J'imagine que c'est une peine suffisante. Ça ne me ramènera pas mon fils», a dit la jeune femme, les yeux rougis.

Sept ans après le drame, la mère de famille a refait sa vie, a eu un autre enfant, mais sa douleur semble toujours aussi vive. « Ses remords, je n'y crois pas », dit-elle en parlant de son ex-conjoint, les yeux soudainement animés par la colère.

Le procureur de la Couronne Michel Pennou a parlé d'un «jugement remarquable». «Ce genre d'affaires ne laisse personne indifférent», a-t-il lancé, visiblement aussi ému par l'affaire.

De son côté, l'avocat de l'accusé, Me Charles Montpetit, a décrit son client comme un individu démuni, «mal équipé pour être parent». Le juge a d'ailleurs pris le temps de remercier les deux parties pour leur «travail difficile» à accomplir.

La poursuite recommandait cinq ans de prison alors que la défense suggérait plutôt deux ans moins un jour en tenant compte du temps passé en détention préventive. Ce sera finalement près de quatre ans - 46 mois - que le trentenaire passera derrière les barreaux à compter de ce jour. C'est un peu moins que l'âge du petit Jérémy quand il est mort des suites de ses blessures.