La rencontre apparemment «fortuite» entre un agent d'infiltration du FBI et un des deux hommes accusés d'avoir comploté pour faire dérailler un train de Via Rail est survenue en fait dans le cadre d'une enquête déjà en cours, a-t-on appris vendredi au procès, à Toronto.

Contre-interrogé par la défense au procès de Chiheb Esseghaier et Raed Jaser pour complot terroriste, l'agent d'infiltration de la police fédérale américaine (FBI) a d'abord refusé de confirmer qu'il n'avait pas croisé l'existence d'Esseghaier par pure coïncidence. Il a plus tard admis qu'on lui avait effectivement confié la mission de tisser des liens avec l'accusé.

Les deux coaccusés ont été arrêtés en avril 2013. Esseghaier, d'origine tunisienne, travaillait à Varennes, en Montérégie, à l'Institut national de la recherche scientifique, alors que Raed Jaser vivait à Markham, en banlieue de Toronto.

Lors du contre-interrogatoire de la taupe, vendredi, le tribunal a appris qu'en juin 2012, à l'aéroport de Houston, Esseghaier avait été impliqué dans une dispute sur l'attribution des sièges dans l'avion. C'est à ce moment que l'agent du FBI a fait la connaissance de l'accusé - les deux hommes étaient assis côte à côte pendant les quatre heures de vol qui les emmenait en Californie. L'accusé s'est alors très bien entendu avec ce «riche homme d'affaires».

Trois mois plus tard, la taupe a rendu visite à Esseghaier, étudiant au doctorat à Montréal, et lui a confié combien leur précédente rencontre avait donné un sens à sa vie. L'avocat de Jaser, John Norris, a fait admettre à l'agent du FBI, vendredi, que ce qu'Esseghaier avait compris de cet aveu, c'est que son nouvel ami était prêt à faire bien plus que de contribuer financièrement à la lutte islamiste à l'étranger: il voulait faire partie de l'«action».

Musulmans non pratiquants

Esseghaier a raconté à l'agent d'infiltration qu'il s'était déjà rendu en Iran, où il avait rencontré «le Responsable» - un homme fortuné et apparemment lié à Oussama ben Laden, cerveau d'Al-Qaïda. Esseghaier a aussi soutenu qu'on lui avait confié la mission d'organiser un attentat terroriste et qu'on lui avait dispensé une formation, notamment sur les façons de recruter des gens prêts à commettre des attentats - attaquer un train, empoisonner des soldats sur une base militaire ou s'en prendre à des musulmans non pratiquants, par exemple.

Esseghaier, qui se représente seul et qui ne reconnaît pas la juridiction du tribunal, avait renoncé plus tôt vendredi à son droit de contre-interroger ce témoin-clé de la Couronne. Il est demeuré assis, sans bouger, lorsque le juge lui a demandé s'il avait des questions pour l'agent d'infiltration du FBI.

Cet agent raconte depuis deux semaines au tribunal sa relation avec Esseghaier et son coaccusé Jaser, qui font face à des accusations liées au terrorisme. La Cour a ainsi entendu comment l'agent avait fraternisé avec Esseghaier et avait entendu parler du présumé complot visant à faire dérailler un train de passagers de Via Rail entre New York et Toronto.

La Cour a aussi entendu des heures d'enregistrements audio de conversations que les deux hommes ont eues avec la taupe, qui avait gagné leur confiance. Lors de l'une de ces conversations, Esseghaier lui demande même des conseils amoureux concernant un mariage potentiel avec une de ses collègues de travail.

Dans une autre conversation, Esseghaier explique son engagement à un islam strict, affirmant qu'il voulait que la charia soit imposée partout. «J'en fais mon devoir envers le djihad», dit-il à l'agent du FBI. «J'y crois - pas seulement en mots, mais par l'action.»

La taupe a aussi expliqué qu'il n'avait passé en tout qu'environ deux semaines avec Jaser, qui s'est éventuellement retiré du complot pour faire dérailler le train de Via Rail. Par contre, il a passé des centaines d'heures - voire des milliers - avec Esseghaier, a-t-il estimé.