C'est en payant directement de sa poche des services de sécurité privés qu'un des principaux artisans des stratagèmes de corruption de SNC-Lavalin pourra dès aujourd'hui sortir de prison et attendre chez lui que son procès débute, en 2017.

La juge Myriam Lachance a accepté hier de libérer Riadh Ben Aïssa en vertu de conditions inusitées, notamment le port d'un bracelet électronique, dans l'attente de son procès pour le scandale de corruption du CUSM.

L'ancien vice-président directeur de la division construction de SNC-Lavalin a plaidé coupable en Suisse à des accusations de corruption liées au régime de l'ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Il avait empoché au passage des dizaines de millions de dollars en commissions secrètes. Il a été condamné à purger le temps qu'il avait déjà passé en détention depuis son arrestation en 2012.

Le 15 octobre dernier, immédiatement après sa condamnation, il a été extradé vers le Canada, où il est accusé d'avoir orchestré le versement de 22,5 millions de dollars en pots-de-vin afin de truquer l'appel d'offres pour la construction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Selon l'estimation de la cour, son procès québécois ne pourra pas s'ouvrir avant 2017, dans le meilleur des cas.

Crainte de la poursuite

La procureure du Bureau de lutte à la corruption et à la malversation, Me Marie-Élaine Giroux, s'est vigoureusement opposée à la remise en liberté de Riadh Ben Aïssa en attendant son procès. La preuve qu'elle a soumise est frappée d'un interdit de publication, mais il est permis de dire qu'il a fallu plusieurs jours d'audience pour trancher la question.

«Nous estimions qu'il y avait un risque de fuite», a résumé la procureure hier.

La juge s'est toutefois montrée satisfaite des garanties proposées par l'avocat de Riadh Ben Aïssa, Me Louis Belleau.

L'accusé versera ainsi une caution de 250 000$ qui sera saisie s'il manque à ses engagements. Il ira vivre dans une tour de logements du centre-ville, à quelques minutes à pied des sièges sociaux du CUSM et de SNC-Lavalin, où il s'engage à ne jamais entrer.

Surtout, pour éviter les risques de fuite, il paiera de sa poche deux sociétés de sécurité privées chargées de le surveiller. L'une fournira un bracelet électronique que M. Ben Aïssa portera 24 heures sur 24, et qui permettra de le localiser à l'intérieur d'un certain périmètre.

Un ex de chez Eaton

L'autre entreprise payée par Ben Aïssa s'appelle National Criminal Investigation Services et est dirigée par un ancien gardien de sécurité de chez Eaton, Terry J. Corcoran. Ses agents escorteront l'accusé s'il veut sortir du périmètre couvert par le bracelet électronique. S'il tente de prendre la fuite, ils s'engagent à appeler la police. M. Ben Aïssa devra se rapporter fréquemment aux enquêteurs de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et les informer de tous ses déplacements.

«Ce sont des conditions très strictes de remise en liberté, plutôt inhabituelles au Québec», a observé la procureure de la poursuite en sortant de la salle d'audience.

La Presse a tenté de joindre M. Corcoran pour savoir s'il offre ses services aux accusés moins fortunés qui souhaiteraient eux aussi se prévaloir de cette option pour être libérés en attendant leur procès, mais il n'a pas répondu au message que nous avons laissé sur sa boîte vocale.

S'il est reconnu coupable des accusations portées contre lui, Riadh Ben Aïssa est passible de 14 ans de prison. La juge a estimé que selon son degré d'implication et la jurisprudence en la matière, on peut s'attendre à ce qu'il écope de 6 à 10 ans de pénitencier s'il est déclaré coupable.