Devant une salle d'audience bondée et fébrile, au palais de justice de Laval, le jury numéro un s'est levé et a prononcé le même mot pour chacune des trois accusations, soit meurtre, agression sexuelle et séquestration : «coupable.»

Il était 16h22, jeudi. La mort tragique de la petite Joleil Campeau, survenue il y a presque 19 ans, venait d'être officiellement élucidée et le sort de son assassin, Éric Daudelin, était désormais scellé. Le jury a délibéré trois jours pour arriver à ce verdict.

Assis dans le box des accusés, l'homme de 40 ans à la longue barbe, n'a pas bronché. «Le 12 juin 1995, Joleil avait 9 ans pour toujours. Dix-huit ans 9 mois et 15 jours plus tard, justice est rendue», a dit la juge Sophie Bourque, avant de condamner M. Daudelin à la prison à vie, sans possibilité de libération avant 25 ans. Un peu avant, Donna Sénécal, mère de la petite Joleil, s'était avancée à la barre, pour témoigner de l'impact de la perte de sa fille, son unique enfant.

«C'était le lendemain de mon anniversaire, Joleil avait passé ses examens à l'école, je replantais des fleurs, nous vivions heureux...», a-t-elle dit doucement, avant d'aborder la disparition de sa fille, et les souffrances qu'elle a vécues. Mme Sénécal se souvient qu'elle-même a été interrogée et suspectée. «C'était la procédure. J'étais la dernière à l'avoir vue. Ils ont même suspecté mon conjoint. Je tremblais par en dedans. Ça ne se pouvait pas, et en même temps, ça se pouvait. Rien n'avait du sens à l'époque... On l'a enterrée... La personne qui avait fait ça ne pouvait pas être normale.»

Mme Sénécal s'est ensuite tournée vers M. Daudelin pour s'adresser directement à lui.

«Éric Daudelin, j'ai souhaité qu'on prenne soin de toi avant de prendre soin de moi. Comment une personne peut blesser et enfouir quelqu'un dans la vase, surtout un enfant comme ma fille Joleil. Tu as réussi à vivre avec tes actes crapuleux pendant 16 ans. Maintenant, qu'il te soit interdit de recommencer. Je te demande de faire tout ton temps, car moi je fais tout mon temps.»

Pierre Campeau, père de la petite Joleil, ainsi que ses proches, ont eux aussi suivi le procès avec assiduité. Ils ont accueilli le verdict avec émotion. «Je souhaite qu'il passe le reste de ses jours en prison, qu'il ne sorte jamais», avait confié M. Campeau, il y a quelques jours.

Funeste rencontre

La petite Joleil était partie un peu après 16h30 de son domicile de la rue Debussy, à Auteuil, le lundi 12 juin 1995, pour aller jouer avec une amie qui résidait dans le quartier. Elle ne s'y était jamais rendue. Son corps avait été découvert quatre jours plus tard, enterré dans la vase d'un ruisseau, non loin de chez elle. Une grosse pierre était placée sur le bas de son dos. Elle avait été agressée sexuellement et noyée. 

On sait aujourd'hui que l'enfant a eu le malheur de croiser Éric Daudelin. Ce dernier n'avait que 21 ans à l'époque, mais il était sorti de prison depuis à peine un mois. C'était déjà un prédateur sexuel au parcours inquiétant, qui fantasmait sur les meurtres et démembrements de femmes, selon les notes consignées dans son dossier aux libérations conditionnelles. Étant donné sa dangerosité, il avait purgé toute sa peine en prison, sans bénéficier d'une libération conditionnelle. En juin 1995, Il avait été longuement interrogé en lien avec la disparition de Joleil Campeau. Sa voiture, de même que le domicile de ses parents et leur chalet, avaient été fouillés, sans succès. 

Condamné encore

Moins de trois semaines après la découverte du corps de Joleil, le 3 juillet 1995,  M. Daudelin avait cependant été arrêté et accusé pour une agression sexuelle commise sur une femme de 18 ans. Il a été déclaré coupable pour ce crime et a écopé de cinq ans pour cette agression. Encore là, il a purgé toute sa peine. Sorti de prison en janvier 2002, il devait se soumettre à certaines conditions, qu'il n'a pas toutes respectées. Ce qui lui a valu d'être réincarcéré jusqu'en 2003. Après, il n'a pas eu d'autre condamnation. 

M. Daudelin est revenu dans la ligne de mire de la police fin 2009, quand des techniques d'ADN plus évoluées ont permis d'identifier le sien sur une cagoule qui avait été retrouvée dans la zone du crime du meurtre de Joleil Campeau. Plus tard, son ADN a aussi été identifié sur la petite culotte que portait l'enfant.

Photo: Archives La Presse

Joleil Campeau

Photo Ivanoh Demers, La Presse

La mère de Joëlle Campeau et plusieurs de ses proches étaient au Palais de justice de Laval aujourd'hui.

Pousser l'enquête

Les policiers ont monté une opération Mister Big dans l'espoir d'obtenir des aveux de M. Daudelin. Et cela a fonctionné. Au 45e scénario, le 21 juin 2011, M. Daudelin a avoué le meurtre de Joleil Campeau à un policier qui se faisait passer pour le patron d'une prospère organisation criminelle. Selon son récit, M. Daudelin a agi sous le coup d'une pulsion irrésistible en voyant l'enfant. Il était sur la rue Debussy. Il a arrêté sa voiture de travers sur la rue, est sorti en vitesse pour attraper la petite. Il n'a même pas pris le temps de fermer sa portière, ce qui allait d'ailleurs attirer l'attention de deux passants par la suite. Il a poussé l'enfant dans le fossé, elle est tombée, a perdu ses lunettes et les a demandées parce qu'elle ne voyait rien. Il l'a traînée dans le boisé. Il l'a déshabillée, l'a agressée, puis l'a aidée à se rhabiller.

C'est à ce moment qu'il avait entendu une voix de femme crier «you hou» de la route. Il a paniqué, et a décidé de tuer l'enfant. Il l'a enfoncée dans la vase du ruisseau, et a mis une pierre pour qu'elle ne remonte pas à la surface.

Notes sur le procès

Le procès a duré onze jours.

Les jurés ont ensuite délibéré pendant trois jours.

Le procès était présidé par la juge Sophie Bourque.

Me Pierre-Luc Rolland et Me Bruno Larivière occupaient pour la Couronne.

Me Gilles Daudelin et Me Jacky- Éric Salvant représentaient l'accusé.

L'enquête a été menée par la police de Laval. En 2011, des policiers de la GRC, de la SQ et du SPVM ont participé.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

En mars dernier, Éric Daudelin a été condamné à la prison à vie pour le meurtre de la petite Joleil Campeau, survenu 19 ans plus tôt.

PHOTO IVANOH DEMERS, La Presse

Le père de Joleil Campeau était aussi au Palais de justice de Laval aujourd'hui.