En perquisitionnant mercredi dans huit dispensaires de cannabis médical, la Sûreté du Québec (SQ) s'est attaquée à une échappatoire juridique grâce à laquelle un « marché gris » de la marijuana fleurit depuis des mois à l'ombre des contrôles de Santé Canada. 

Vers midi, à une semaine jour pour jour de la légalisation, une soixantaine de policiers et d'enquêteurs sont débarqués autour de Montréal dans les dispensaires du groupe ACCMQ (Association des consommateurs de cannabis médical du Québec) et des Centres compassion Le 710 Smokes and Vapors, deux entreprises affiliées. Les commerces visés se trouvent à Laval, Vaudreuil, Salaberry-de-Valleyfield, Trois-Rivières, Shawinigan, Nicolet, Victoriaville et Saint-Jérôme. 

Les policiers y ont saisi 3 kilos de cannabis, mais aussi plusieurs dossiers et supports informatiques. Le propriétaire des dispensaires Le 710, Albert Krespine, traîne un lourd passé criminel incluant des peines pour vol de carte de crédit, création de documents contrefaits, fraude, possession de biens criminellement obtenus et possession de cannabis, selon le plumitif.

Les commerces visés fonctionnent selon un modèle d'affaires souvent qualifié de « marché gris » dans l'industrie du cannabis. Ces dispensaires recrutent des clients pour lesquels ils obtiennent une ordonnance de cannabis médical, mais plutôt que de les diriger ensuite vers des producteurs autorisés de marijuana détenant une licence de Santé Canada, ils les intègrent à des « coopératives » de producteurs qui sont autorisés à faire pousser du cannabis eux-mêmes à domicile en vertu d'une décision de la Cour suprême datant de 2016. 

Ces coopératives écoulent ensuite une partie de leur production dans des « centres compassion », qui revendent la substance à leurs patients à un prix inférieur à ceux des producteurs autorisés. 

Sur des affiches extérieures, l'ACCMQ allait même jusqu'à afficher le logo officiel de Santé Canada, en indiquant que ses « centres de compassion [sont conformes au] programme d'accès au cannabis à des fins médicales par Santé Canada ». L'entreprise s'assurait aussi d'appeler le poste de police local pour l'informer de la nature de ses activités avant d'ouvrir ses portes au public. 

Mais selon la SQ, ces dispensaires « ne respectaient pas les règles établies par le gouvernement du Canada », a affirmé le capitaine Dany Dufour, du Service des enquêtes de la criminalité contre l'État de la SQ. « Ce n'est pas le fait de s'afficher comme dispensaire qui est illégal en soi ni le fait d'accompagner quelqu'un qui a véritablement des problèmes de santé pour obtenir une prescription médicale », a-t-il précisé.

« À partir du moment où on a des motifs raisonnables de croire qu'il y a du cannabis du "marché gris" qui est vendu, des enquêtes sont initiées. »

- Dany Dufour, capitaine, Sûreté du Québec

Dénoncé régulièrement par les producteurs légaux de cannabis médical et récréatif, ce « marché gris » a pris beaucoup d'ampleur au pays au cours des derniers mois. Au Québec seulement, le nombre de « producteurs désignés » a augmenté de 40 % depuis le mois de juin, selon des chiffres officiels de Santé Canada, portant à 3500 le nombre d'individus qui ont ce statut au Québec. Des sources policières affirment que ce sont souvent ces coopératives de producteurs désignés qui alimentent les sites internet illégaux de vente de cannabis qui pullulent dans l'Ouest canadien depuis environ deux ans. 

MONTRÉAL ÉPARGNÉ 

La série de perquisitions menées mercredi a complètement épargné les dispensaires de cannabis médical situés à Montréal, dont deux des plus anciens, le Centre compassion de Montréal et la Clinique la Croix-Verte. 

Sans donner de détails sur la provenance du cannabis qu'il vend à ses patients, Marc-Boris St-Maurice, du Centre compassion de Montréal, estime que son modèle d'affaires respecte la loi. « Nous sommes très rigoureux et doublement vigilants pour nous assurer que nos patients ont une prescription médicale. Et constitutionnellement, oui, on opère de façon légale », a-t-il commenté.