Un coup de feu tiré par un agent de la paix, un jeune homme dans le coma, une vidéo troublante... L'altercation survenue mercredi entre Steven Bertrand et un constable spécial monopolisait toujours les conversations, hier à Maniwaki. Et réveillait de très mauvais souvenirs.

« Il devait bien y avoir d'autres manières... »

Cette phrase, des dizaines de résidants de Maniwaki l'ont répétée hier. Ils ne connaissaient pas forcément Steven Bertrand personnellement. Mais ils avaient tous vu la vidéo.

Dans cette séquence publiée mercredi, qui cumulait quelque 1,9 million de visionnements hier soir, on pouvait voir l'altercation entre le jeune homme de 18 ans et un constable spécial du palais de justice. La scène se termine au son d'un coup de feu, qui atteint le jeune homme à la tête.

Celui-ci se trouvait toujours dans un état stable, hier soir, à l'unité de soins intensifs de l'hôpital de Hull. Selon une proche, il est maintenu dans un coma artificiel, le temps que le personnel médical décide s'il faut pratiquer ou non une opération chirurgicale pour extraire la balle qui se trouve toujours dans son cou. Le cas échéant, il serait transféré à Montréal.

« C'est dur d'avoir encore confiance en la police », dit Alexis Gravel, un ami de Steven.

Pour Alexis, comme pour beaucoup de gens dans la région, cette histoire fait resurgir des souvenirs douloureux. En novembre 2015, un autre de ses amis, Brandon Maurice, perdait la vie sous les balles d'un agent de la Sûreté du Québec. Le jeune homme de 17 ans avait été interpellé en pleine nuit à Messines, à quelques kilomètres au sud de Maniwaki, et aurait accéléré brusquement après qu'un policier se fut approché du véhicule, traînant l'agent sur le côté de la voiture. Le policier a alors ouvert le feu.

L'évocation des deux événements soulevait les passions à Maniwaki, hier.

Si certains blâmaient les gestes des jeunes hommes, d'autres déploraient les méthodes employées par les hommes en uniforme. Dans le cas de Steven Bertrand, on soulevait des questions non seulement sur l'utilisation d'une arme à feu par le constable spécial, mais aussi sur le peu d'assistance apportée par les agents de sécurité sur la scène.

« Dans les deux histoires, tout le monde a ses torts, convient Alexis Gravel, les yeux embués. Mais il devait y avoir d'autres manières... »

« UNE INJUSTICE »

Lise Maurice n'a rien oublié de cette nuit de novembre 2015, et elle ne ménage aucun effort pour que personne n'oublie.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE JULIE BERTRAND

Steven Bertrand dans son lit d'hôpital avec sa mère, Julie Bertrand, à son chevet.

Sur son terrain, sur sa maison, sur le pare-chocs de sa voiture, des messages à la mémoire de son petit-fils Brandon et un rappel que la police n'a toujours pas été jugée pour cet événement - une enquête publique du coroner s'amorcera au mois d'avril prochain.

« C'est la même histoire qui se répète, raconte Mme Maurice, en référence au triste sort de Steven Bertrand. C'est une injustice. Pourquoi est-ce que les policiers tirent tout le temps ? Comment ça se fait qu'ils ne sont pas capables d'arrêter des gars de 17-18 ans ? »

ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Sur son terrain, Lise Maurice a affiché des messages à la mémoire de son petit-fils.

De l'aveu de sa grand-mère, Brandon avait des antécédents de « mauvais coups ».

C'est un peu ce que rapportaient aussi les personnes croisées hier à Maniwaki, mais à propos de Steven.

Amie proche de la mère de Steven, Fany Rochon connaît le jeune homme depuis des années. Elle décrit un garçon « parfois dur à gérer », qui a connu des épisodes d'agressivité depuis l'adolescence, « mais qui a les valeurs à la bonne place ».

Aux prises avec des problèmes de consommation, il avait récemment suivi une cure de désintoxication. Il parlait notamment d'un retour aux études.

ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Lise Maurice

« Il était en train de s'aider », résume-t-elle.

Fany Rochon a passé une bonne partie de la journée à son chevet hier, avec Julie Bertrand, mère du jeune homme. Celle-ci n'a pas souhaité s'adresser à La Presse lors de notre passage à Gatineau hier midi.

UNE VILLE VIOLENTE ?

Puisque l'enquête sur le coup de feu est entre les mains du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), les autorités n'étaient pas bavardes, hier.

Au palais de justice, des agents de la SQ sont venus en renfort du personnel de sécurité sur place. On n'a toutefois déploré aucun incident.

À Québec, la ministre de la Justice Stéphanie Vallée a tenu à rappeler que l'événement qui avait secoué mercredi le palais de justice de Maniwaki, où elle a travaillé pendant 12 ans, était de nature « exceptionnelle ».

« Il ne faudrait pas que les gens s'imaginent que c'est la réalité de Maniwaki. Oui, c'est une communauté qui vit ses difficultés, mais ce n'est pas vrai qu'il y a de la violence comme ça dans ce milieu », a-t-elle dit, hier, à sa sortie du caucus libéral d'avant-session, à Québec.

Quand elle a été informée, mercredi, de l'événement impliquant Steven Bertrand et un constable spécial, la ministre Vallée a reçu l'information « avec beaucoup d'émotion ».

« C'est venu me chercher dans le plus profond de ce que j'ai. Par la suite, j'ai vu la vidéo [...]. Je suis mère de jeunes de 18 et 20 ans, je suis une avocate qui a pratiqué en région, alors c'est certain que ça me touche beaucoup », a dit Mme Vallée, affirmant qu'elle ne commenterait pas davantage le cas puisque le BEI fait enquête.

- Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse

ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Amie proche de la mère de Steven, Fany Rochon connaît le jeune homme depuis des années.