«J'aurais pu perdre la vie. C'est vraiment un miracle», raconte Sigal Karasik, encore ébranlée. Il y a deux mois, la jeune femme circulait près de l'échangeur Turcot quand une longue barre de métal «propulsée» par une pelle mécanique a perforé le pare-brise de sa voiture. Depuis, même si ses blessures sont guéries, Sigal Karasik porte toujours les stigmates de ce jour fatidique. Elle réclame des règles plus sévères pour protéger le public et s'insurge en constatant que l'entrepreneur fautif a échappé à toute sanction.

La vie de Sigal Karasik a été bouleversée le 10 novembre dernier. Elle était alors en route vers le centre-ville de Montréal, rue Saint-Jacques, entre le boulevard Décarie et la rue Saint-Rémi, au coeur du chantier de l'échangeur Turcot. «Tout d'un coup, j'entends un gros bang! Tout devient blanc. Je ne comprenais vraiment pas ce qui s'était passé. Je ne pouvais pas bouger. J'ai remarqué qu'il y avait un gros trou dans le pare-brise, directement en face de mon visage», se remémore la Montréalaise de 24 ans.

Quelques secondes plus tard, en reprenant ses esprits, elle s'aperçoit qu'une tige d'armature d'acier d'environ un mètre s'est enroulée autour du levier de vitesses de sa voiture. Sonnée, elle sort de son automobile et demande de l'aide aux ouvriers qui se trouvent à moins de cinq mètres de là. «Dès que j'ai vu le trou, oh, mon Dieu, j'ai commencé à crier, à pleurer. C'était une crise incontrôlable. Je savais que j'avais vraiment frôlé la mort. Ç'aurait pu être la fin pour moi», raconte-t-elle.

Sigal Karasik n'est pas sortie indemne de cet accident, loin de là. «Mes mains étaient en sang. J'ai eu de la vitre dans la bouche, dans les yeux, sur le visage. J'ai une abrasion de la cornée.» Mais le pire était à venir. Depuis, la jeune femme ne dort plus, consulte un psychologue et s'absente régulièrement de son travail dans le milieu de la construction. «Il y a des bruits constants, j'ai toujours peur que quelque chose me tombe sur la tête, explique-t-elle. Même après tout ce temps, je peux vous dire que ça ne va pas nécessairement mieux.»

Aucune amende pour l'entreprise

C'est pendant une opération de ramassage de morceaux de béton que cette tige d'armature a été catapultée hors du chantier de réaménagement de la rue Saint-Jacques. Ce béton n'était toutefois pas censé contenir de telles barres de métal, seulement du treillis métallique, moins massif. Par conséquent, la tige de métal n'a pas été sectionnée comme prévu par le marteau hydraulique.

Seul un muret «Jersey» d'un mètre séparait la voie publique du chantier, alors que le Code de sécurité pour les travaux de construction exige l'installation d'un mur de protection. Le cas échéant, «l'accident aurait fort probablement été évité», convient Patricia Darilus, porte-parole de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST, ancienne CSST). Un tel mur a finalement été installé quelques jours plus tard.

L'entreprise L.A. Hébert n'a reçu aucun constat d'infraction de la CNESST et n'a fait l'objet d'aucune sanction de la part du ministère des Transports du Québec (MTQ), puisque des correctifs «jugés adéquats par la CSST» ont été apportés. «On prend la situation très, très au sérieux. Ce n'est pas du tout un incident qu'on prend à la légère. C'est d'ailleurs pour ça que le chantier a été fermé à la suite de l'accident. Ce n'est pas une situation normale», explique Sarah Bensadoun, porte-parole du MTQ. L.A. Hébert n'a pas rappelé La Presse hier.

Sigal Karasik est révoltée d'avoir frôlé la mort «par la faute d'une entreprise qui assure au public que la sécurité est une priorité». «Non seulement il n'y a pas de répercussions, juste une petite tape sur les mains, mais ils ne m'ont pas contactée, ils ne m'ont pas demandé si j'étais correcte, si j'étais en vie. Rien, rien. Nothing. Nothing», dénonce-t-elle.

Elle demande des lois «plus sévères» pour éviter de tels accidents. «Il ne faut pas jouer avec la vie des gens. Ce n'est pas juste la santé et la sécurité des travailleurs, c'est aussi la santé et la sécurité du public. Comment ça se fait que j'ai plus de chances d'être impliquée dans un accident comme ça, alors que je suis sur la route et même pas sur un chantier?»

Sigal Karasik ne sait pas encore si elle va intenter un recours en justice. Toutefois, étant donné qu'elle est considérée comme une accidentée de la route par la Société de l'assurance automobile du Québec, le régime du «no-fault» l'en empêcherait.

PHOTO FOURNIE PAR Sigal Karasik

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