En examinant comment l'année 2015 a pris fin, soit par un regain des tensions au sein de la mafia, la libération d'office de l'un de ses membres les plus influents, le retour dans la rue de dizaines de membres des Hells Angels plus visibles et plus affamés que jamais après avoir été détenus durant plus de six ans et, enfin, une opération majeure qui a décapité l'Alliance qui dirigeait le crime organisé montréalais, on pourrait avoir tendance à croire que la table est mise pour une nouvelle ère de violence. Ce n'est pas impossible, mais les chances sont minces, croient nos sources. Les règlements de comptes attirent les projecteurs de la police et ne sont jamais  bons pour les affaires.

ANALYSE - En revanche, en envoyant derrière les barreaux Leonardo Rizzuto et Stefano Sollecito, soupçonnés d'être les chefs de la mafia montréalaise, et celui qui serait leur facilitateur, Loris Cavaliere, ainsi que le Hells Angel Salvatore Cazzetta et le chef de gang Gregory Woolley, les enquêteurs du projet Magot ont privé le crime organisé de ses acteurs les plus influents et les plus respectés. De nouveaux acteurs, inévitablement moins influents et moins respectés, ou pas encore en position de force, prendront assurément leur place. Mais il y aura une période d'ajustement.  Il pourrait en effet exister entre ces nouveaux acteurs de vieilles rancunes ou des conflits de personnalités qui pourraient se traduire par des règlements de comptes sanglants au cours de l'année, appréhendent nos informateurs.

Si les différents groupes criminels - mafia, motards et gangs de rue - ont cru bon de former une alliance depuis la mort de Vito Rizzuto, en décembre 2013, c'est que la disparition du parrain a affaibli le crime organisé montréalais. La mafia était en effet déjà ébranlée depuis l'opération Colisée et la guerre de pouvoir qui a suivi. Les Hells Angels, eux, ont plié les genoux durant quelques années, à la suite de l'opération SharQc en avril 2009, et commencent à retrouver leur vigueur d'antan. La poursuite d'une alliance à Montréal en 2016 entre ces groupes encore affaiblis paraît donc un incontournable, ne serait-ce que pour prévenir l'anarchie, synonyme d'escalade de violence.

«Je ne pense pas que ça va péter, mais il pourrait y avoir quelques têtes, celles de gens incontrôlables, qui vont tomber. Ils vont devoir créer une nouvelle alliance. Ils n'ont pas le choix, sinon ça va brasser», nous a confié une source policière récemment.

Sans les Hells, point de salut

Il est légitime de penser que Magot sera le dernier clou dans le cercueil des familles siciliennes, qui mènent la mafia montréalaise depuis plus de 30 ans et qui ont constamment perdu des plumes ces dernières années.

Pour la personne ou les membres d'une table qui tiendrait les rênes de cette mafia maintenant que ses chefs présumés sont en prison, il y aura un autre incontournable: il faudra absolument avoir l'appui des Hells Angels, qui apparaissent désormais comme l'organisation en meilleure santé.

D'ailleurs, il semble que les liens soient de plus en plus étroits entre les deux organisations, alors que les Devils Ghosts, club-école des Hells Angels, ont passablement recruté dans des communautés généralement associées à la mafia.

Un nom est régulièrement prononcé par nos sources depuis des mois pour éventuellement diriger la mafia, celui de Lorenzo Giordano, un des derniers hommes d'honneur, condamné à 15 ans après Colisée et libéré d'office il y a quelques semaines. Il a des liens avec d'influents membres des Hells Angels depuis des années et s'est fait de nouveaux alliés au pénitencier. Mais Giordano est en maison de transition et doit respecter de sévères conditions. Et sa peine ne prendra fin qu'en 2019.

Des inconnues

Mais dans les prochaines semaines, son ancien patron dans la hiérarchie mafieuse, Francesco Arcadi, et son ancien bras droit, Francesco Del Balso, également condamnés après Colisée, seront libérés d'office à leur tour. La sortie de ces individus influents pourrait avoir des répercussions dans la rue.

Les membres des Hells Angels qui ont passé six ans et demi en détention ensemble, à Bordeaux, seraient sortis plus unis qu'avant l'opération SharQc. Il faudra cependant voir si, animés par une puissance retrouvée, ils seront tous d'accord avec une alliance conclue avec d'autres groupes éclopés.

On a chuchoté récemment aux oreilles de La Presse que des mafiosi de Toronto se seraient arrêtés dans la métropole pour les Fêtes. Si c'est pour défendre certains intérêts locaux, il serait toutefois étonnant que les criminels d'ici acceptent que les ficelles du crime organisé soient tirées d'ailleurs.

Depuis quelques semaines, l'est de Montréal est le théâtre d'une guerre entre deux cliques liées aux gangs de rue. Il ne faudrait pas que ce conflit, qui survient au moment où la police de Montréal s'apprête à incorporer ses enquêteurs spécialisés dans la lutte aux stupéfiants et aux gangs de rue dans des équipes généralistes, dégénère et atteigne des paliers supérieurs du crime organisé montréalais.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

En 2015, les enquêteurs du proket Magot ont envoyé derrière les barreaux Leonardo Rizzuto et Stefano Sollecito, soupçonnés d'être les chefs de la mafia montréalaise, et celui qui serait leur facilitateur, Loris Cavaliere, ainsi que le Hells Angel Salvatore Cazzetta (photo) et le chef de gang Gregory Woolley.