L'an dernier, une quinquagénaire est morte de faim, seule, dans un appartement insalubre de Saint-Jérôme. Durant plus d'un an et demi, la dame et plusieurs personnes de son entourage ont demandé de l'aide médicale et psychologique au CLSC, mais personne n'est venu à son secours. En cette époque d'austérité et de réorganisation des services de santé, son cas pourrait bien n'être que la pointe de l'iceberg, craignent des organismes qui oeuvrent auprès des personnes vulnérables.

Chantal Provencher était malade. Tout le monde autour d'elle l'avait remarqué.

Ses deux enfants la voyaient dépérir. Le concierge de l'immeuble à loyer modique où elle louait un trois et demie la trouvait beaucoup trop maigre. Et les bénévoles de l'organisme communautaire situé juste en face de chez elle lui livraient des repas à domicile parce qu'ils la savaient incapable de venir les chercher elle-même de l'autre côté de la rue.

Durant un an et demi, l'état de santé de la femme de 50 ans s'est dégradé. Et durant un an et demi, ses proches et elle ont demandé en vain de l'aide au réseau de la santé. Elle est morte avant d'en recevoir.

« À la grosseur qu'elle avait, ça ne prenait pas un cours pour comprendre que ça n'allait pas, rage son ex-conjoint, Luc Bergeron. Il y a plusieurs signalements qui ont été faits, mais ça n'a rien donné. Elle a été laissée à elle-même. »

Selon le rapport de la coroner Denyse Langelier, qui a enquêté sur le décès, Chantal Provencher était déprimée. Elle avait gardé plusieurs séquelles physiques d'un accident de travail et d'accidents de voiture. Elle se déplaçait avec deux cannes. À la fin, elle ne pesait plus que 36 kg (80 lb). Elle n'avait même pas la force d'aller chercher des sacs d'aide alimentaire en face de chez elle. C'est pour cette raison que les bénévoles devaient les lui livrer. Ce sont eux qui l'ont trouvée étendue sur le plancher de la cuisine entre les sacs encore pleins de nourriture qu'ils lui avaient apportés la veille.

Le 6 décembre 2013, une jeune stagiaire a frappé à la porte du petit logement de la rue Filion. Elle était inquiète de ne pas avoir eu de nouvelles depuis deux jours. La porte n'était pas verrouillée, mais le concierge, Lucien Plouffe, est entré avec elle. Il n'a pas été surpris en découvrant le corps.

« Elle était tellement maigre, se souvient l'homme que nous avons rencontré chez lui. On avait peur qu'elle casse en deux. C'était évident qu'elle avait besoin d'aide. Elle n'était pas capable de se débrouiller toute seule. »

Aucun suivi

Le CLSC a vu les choses autrement. Quatre fois, la quinquagénaire a demandé des services et a avoué être suicidaire. Une de ses amies a aussi lancé un appel à l'aide, tout comme la propriétaire de l'immeuble où vivait la femme ainsi que des employés de l'organisme communautaire L'Ami-E du quartier, qui ont tout fait pour la sauver.

Pourtant, le CLSC a déterminé que Mme Provencher n'avait pas besoin d'aide à domicile. Plusieurs fois, des employés de divers services lui ont fixé des rendez-vous auxquels elle ne s'est pas présentée. Aucun suivi n'a été assuré, aucune équipe de gestion de crise n'a été envoyée chez elle, déplore la coroner.

« Elle est morte de faim. C'est grave », dit la coordonnatrice de L'Ami-E du quartier, Sophie Desmarais.

Au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides, qui chapeaute le CLSC de Saint-Jérôme, on n'a pas cherché à minimiser l'affaire.

« Ce qui est arrivé est déplorable, malheureux et inacceptable », dit le porte-parole Alain Paquette, qui assure que des changements majeurs ont été effectués depuis la mort de Chantal Provencher.

Notamment, un mécanisme d'alerte a été mis en place lorsque des usagers ne se présentent pas à un rendez-vous. Dans le cas qui nous occupe, « personne n'a levé de drapeau rouge lorsque la dame n'est pas allée à ses rendez-vous ». Depuis, un suivi téléphonique systématique est effectué lorsque quelqu'un manque à l'appel.

Alain Paquette ajoute que des efforts ont été faits pour assurer une meilleure communication entre les différents services d'un même établissement de santé, ainsi qu'entre les établissements, afin qu'une personne qui demande de l'aide n'ait pas à répéter le processus chaque fois.