L'ancien ministre libéral de la Justice Marc Bellemare croit que le policier de la Sûreté du Québec impliqué dans un accident causant la mort d'un enfant de 5 ans en février dernier a bénéficié d'un traitement de faveur et il demande l'intervention de l'actuelle ministre de la Justice, Stéphanie Vallée.

M. Bellemare, qui est aussi avocat spécialisé dans la défense des accidentés de la route, ne s'explique pas la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de ne pas porter d'accusations contre le policier au volant de la voiture qui roulait à 122 km/h dans une zone de 50 et qui a heurté la voiture de Mike Bélance, à Longueuil.

«Je perçois un préjugé manifeste en faveur du policier et je trouve ça malsain, a expliqué l'avocat au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse, hier. Il y a des préjugés institutionnels et culturels favorables. Les procureurs de la Couronne font entendre des policiers dans presque toutes leurs causes. Les deux [corps] sont très proches.»

L'ancien ministre exhorte la ministre de la Justice Stéphanie Vallée d'intervenir. «Elle a le pouvoir de prendre en main ce dossier, et j'espère qu'elle s'en mêlera ou qu'elle convaincra le DPCP d'agir, car c'est au juge à décider. Dans l'intérêt public, il faut que cet homme soit accusé.» Il ajoute que la Couronne pourrait demander à la police d'enquêter davantage, ou encore soumettre le dossier à un comité de procureurs aguerris.

Vendredi, la ministre s'était gardée de prendre position pour éviter de «politiser» les dossiers en invoquant le fait que le DPCP est un organisme indépendant. «Il y a des limites, réplique Me Bellemare. Le DPCP ne doit pas être le prétexte des ministres frileux qui ne veulent pas prendre leurs responsabilités.»

L'accident s'est produit alors que le policier prenait part à une opération de filature d'un ancien directeur du Parti libéral du Québec, Robert Parent. Mais aux yeux de Me Bellemare, cette affaire n'a rien de politique et ce ne sont pas les élus qui ont tenté de protéger le policier, mais le DPCP.

Le point de presse du porte-parole du DPCP, Me René Verret, vendredi, n'a rien fait pour rassurer la population, croit-il. «Il a plutôt convaincu beaucoup de monde que ce n'est pas normal qu'il n'y ait pas d'accusations déposées et que le DPCP était dans l'erreur», dit-il.

Me Verret a expliqué vendredi que M. Bélance, le père de l'enfant fauché dans la tragédie, avait réalisé «une manoeuvre qui n'était pas sans risque» en tournant à gauche à une intersection, alors que la voiture banalisée du policier arrivait à contresens, et qu'il aurait dû attendre. Pour ces raisons, les procureurs aux dossiers ne croyaient pas être en mesure d'établir hors de doute raisonnable la culpabilité du policier.

«J'avais vraiment l'impression d'entendre un avocat de la défense, affirme Me Bellemare au sujet de cette explication. Le travail du DPCP est de défendre l'intérêt public, la population, le Code criminel. Laissons le policier invoquer ses moyens de défense!»

Me Bellemare affirme qu'il était parfaitement légal de tourner à gauche sur un feu vert et que cette manoeuvre ne comporte aucun risque lorsque les voitures circulent à vitesse à peu près normale. «On ne peut pas circuler sur les routes du Québec en pensant qu'on va se faire frapper par un chauffard qui roule à plus de deux fois la limite permise, c'est quoi, cette affaire!», s'insurge l'avocat.

L'absence d'accusations mine la confiance du public envers le système de justice, selon lui.

«On comprend que les policiers ne sont pas des citoyens ordinaires, et ce n'est pas correct. Je suis convaincu que n'importe qui d'autre aurait été accusé.»